Le sel de Jean-Pierre Bertrand

Une anti-rétrospective à Nîmes

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 février 1996 - 424 mots

Depuis 1972, Jean-Pierre Bertrand construit une œuvre insolite, qu’on ne saurait ranger sous aucune des rubriques familières de l’art français contemporain. Le Carré d’art de Nîmes présente une vaste exposition qui récuse une nouvelle fois la convention rétrospective.

Nîmes. La tentation peut se faire jour de considérer Jean-Pierre Bertrand comme un peintre classique doué de la passion des pigments purs, architecte d’un dessin insaisissable mais précis. Nombre de ses compositions, qui déploient un lyrisme ténu, peuvent effectivement, sous un regard superficiel, accréditer cette idée simple et réductrice.
 Si Jean-Pierre Bertrand n’est pas peintre, il ne s’agit pas pour autant de nier l’importance des qualités picturales au sein de son œuvre : mais la peinture y est un instrument comme un autre, instrument d’exploration d’un "réel voilé", d’un entre-deux attesté mais improbable. Images photographiques, boîtes, miroirs, citrons, films ou vidéos, sels et papiers constituent quelques-uns des éléments récurrents qui, avec les tableaux, créent un espace déstabilisant, élaboré selon une arithmétique complexe.

Quatre ans avant l’an 2000.
Toujours connotée, parfois fantaisiste, cette arithmétique ne connaît pas la moindre raideur : elle fait jouer l’œuvre, lui donne son mouvement et son temps propres dans une combinatoire ouverte qui ne connaît pas de trêve. C’est pourquoi chacune des expositions de Bertrand (l’une des dernières avait été organisée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, voici deux ans), loin d’avoir un quelconque caractère rétrospectif, est l’occasion pour lui de revisiter les possibles qu’elle recèle.
Pièces anciennes et récentes y cohabitent, réaménagées selon d’autres perspectives, décalées plus ou moins vivement par rapport à leur origine, produisant dans leur nouvelle présentation des effets de sens qui sont, aux yeux de l’artiste lui-même, imprévus, aussi surprenants qu’une trace humaine aux yeux de Robinson Crusoë. L’œuvre est ainsi une perpétuelle redécouverte de son propre fond, de sa propre énigme, et se dérobe à toute lecture figée.

Sous un nouvel aspect, on redécouvrira ainsi à Nîmes la deuxième version de 13 ans avant l’an 2000, vidéo de 1987 qui explore l’installation réalisée au Magasin de Grenoble la même année. On découvrira également des œuvres moins connues (en particulier un film de 1975) et, outre les papiers imprégnés de sel, de miel ou de citron qui sont l’un des "centres" de son travail, différentes séries de dessins  déclinant avec la même insistance les ressources du trait et de la matière. Loin des partis pris formalistes des années soixante-dix, et méfiant vis-à-vis de la rhétorique qui prive un travail de son jus, Jean-Pierre Bertrand montre que l’œuvre ouverte n’est pas une question de pure forme.

JEAN-PIERRE BERTRAND

Carré d’art, Nîmes, du 23 février au 27 mai.
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°22 du 1 février 1996, avec le titre suivant : Le sel de Jean-Pierre Bertrand

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