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Le prétexte Picasso

Picasso chez Cézanne

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2009 - 945 mots

Très attendu par le grand public comme par les historiens de l’art, l’affrontement « Picasso-Cézanne », au Musée Granet d’Aix-en-Provence, ne tient pas ses promesses. Gâchée par un parcours déséquilibré, cette exposition est pourtant le point d’orgue de l’année « Picasso Aix 2009 », opération culturelle et commerciale d’envergure pour la région.

AIX-EN-PROVENCE - En 1958, Pablo Picasso s’offre le château de Vauvenargues, demeure médiévale située face à la montagne Sainte-Victoire (lire l’encadré). Aujourd’hui encore, deux moulages de statues océaniennes du XIXe, l’une en bronze, l’autre en plâtre, se tiennent de part et d’autre du hall d’entrée avec la même solennité que les pièces d’un échiquier peint sur le sol d’un jardin public. Sur les cimaises de l’exposition de « Cézanne-Picasso », au Musée Granet à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), s’enchaînent des pans de couleur alternativement blanche et noire, achevant de convaincre le visiteur qu’il assiste à une partie d’échecs entre deux artistes au sommet. À cette différence que Pablo Picasso a pu se mettre à jouer une fois seulement la stratégie de Paul Cézanne mise au point et ses pièces dûment placées sur l’échiquier. Preuve de ce décalage, la première salle du parcours où trône, seule, une splendide nature morte (Fruits, serviette et boîte à lait, autour de 1880) venant du Musée de l’Orangerie (Paris). Cézanne a alors 42 ans, Picasso prend des forces dans le ventre de sa mère.

« Notre père à tous »
« Si je connais Cézanne ! Il était mon seul et unique maître ! Vous pensez bien que j’ai regardé ses tableaux… J’ai passé des années à les étudier… Cézanne ! Il était comme notre père à nous tous. C’est lui qui nous protégeait », déclarait Picasso au photographe Brassaï. Les recherches et les solutions picturales déterminantes élaborées par Paul avaient tout pour séduire Pablo. Le début du parcours en témoigne : la distorsion de la perspective, l’analyse puis la synthèse des formes, les paysages architecturaux, ces diverses caractéristiques se retrouvent chez l’un et l’autre. Dans un cadre feutré censé évoquer la dimension intime de la réflexion de Picasso sur l’œuvre de Cézanne, l’accrochage classique mais solide de la seconde salle offre des perspectives parfaitement étudiées : vue du côté gauche, la Tête de Fernande se découpant sur une série d’études en arrière-plan semble se démultiplier ; vue du côté droit, la sculpture se superpose au Portrait de Madame Cézanne, faisant admirablement ressortir la géométrie et la sobriété du tableau. Las, le reste de l’exposition n’offre que de rares moments d’une telle tenue, et l’intérêt du propos s’évapore au fil des salles. Ainsi, la dernière section dédiée à la « période Vauvenargues » a recours au stratagème de la métonymie. Le sujet n’est plus « Cézanne-Picasso » mais « Picasso à Vauvenargues » ; Vauvenargues, autrement dit la montagne Sainte-Victoire, autrement dit Cézanne. Mais ce dernier s’est éclipsé. Comme la Sainte-Victoire, il n’est là que dans les esprits.
Que ressort-il, en définitive, de ce duel ? Deux erreurs évitables. (L’événement tient au passage beaucoup moins du duel que de l’éclairage de l’œuvre de Picasso à la lumière de la matrice cézannienne.) La première maladresse concerne les dates de sa programmation : le bulldozer « Picasso et les maîtres », organisé l’automne dernier à Paris, est encore très présent dans les esprits. Le peintre catalan s’y était déjà mesuré au maître aixois – certaines confrontations ont un parfum de déjà-vu quand d’autres sont tout bonnement inexistantes. Pour ne rien arranger, nombre de prêts essentiels n’ont pas été accordés, provoquant un sentiment de déséquilibre.
Le précédent directeur du Musée Granet, Denis Coutagne, avait mûri pendant une dizaine d’années son projet de rétrospective sur l’œuvre de Cézanne qui avait fait les beaux jours d’Aix-en-Provence en 2006. Comme l’a rappelé récemment et fort à propos la maire, Maryse Joissains-Masini, son successeur, Bruno Ely, nommé en janvier 2008 à la tête de l’institution, a disposé d’à peine deux ans pour préparer « Cézanne-Picasso ». Un laps de temps bien trop court pour monter de toutes pièces un événement susceptible de drainer les foules, et autour duquel se greffent une soixantaine de manifestations – concerts, représentations de danse, spectacles et expositions en tous genres, jusqu’à, sous l’intitulé « Picasso reçoit », un banquet préparé par sept grands chefs aixois dans les jardins du Jas du Bouffan, demeure familiale de Cézanne. C’est là la seconde erreur. Car si l’on peut saluer la détermination d’une municipalité à investir dans la culture, il faut également rappeler que la volonté politique à elle seule ne suffit pas à la réussite d’une exposition.

Le fief de Vauvenargues

Aussi dispensable l’exposition du Musée Granet soit-elle, l’ouverture au public du château de Vauvenargues (Bouches-du-Rhône) constitue un événement exceptionnel en soi. Acquis par Picasso en 1958, le château fut la demeure du peintre et de sa dernière épouse, Jacqueline Roque, jusqu’en 1961. Catherine Hutin-Blay, fille de Jacqueline née d’une première union, a non seulement prêté un nombre significatif d’œuvres au musée aixois, mais aussi accepté de faire visiter le château à des groupes restreints de visiteurs, tout au long de l’exposition. La simplicité rudimentaire de la chambre à coucher, de la salle de bains et de l’atelier, demeurés intacts, démontre que le peintre n’avait pas changé depuis ses débuts parisiens dans le joyeux foutoir insalubre du Bateau-Lavoir. À l’entrée du domaine, sous un petit monticule couronné d’une sculpture du maître, est enterré le couple Picasso-Roque, grâce à une dérogation du maire de Vauvenargues. Rien de tel pour expliquer le courant tellurique qui traverse le château. Château de Vauvenargues, 13126 Vauvenargues. Attention, les réservations sont closes, mais 70 billets seront vendus chaque jour à la billetterie située place des Quatre-Dauphins, à deux pas du musée.

PICASSO-CÉZANNE, jusqu’au 27 septembre, Musée Granet, place Saint-Jean-de-Malte, 13100 Aix-en-Provence, tél. 04 42 52 88 32, www.museegranet-aixenprovence.fr, tous les jours 9h-19h, 12h-23h le jeudi. Catalogue, coéd. Communauté du Pays d’Aix/RMN, 280 p., 210 ill., 39 euros, ISBN 978-2-7118-5600-8.

PICASSO-CÉZANNE

Commissariat général : Bruno Ely, directeur du Musée Granet, assisté de Félicie Bouché
Œuvres : plus de 110 tableaux, dessins, aquarelles, gravures et sculptures
Scénographie : Yves Kneusé, architecte DPLG
Mécénat : BNP Paribas, Fondation Total

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°304 du 29 mai 2009, avec le titre suivant : Le prétexte Picasso

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