Royaume-Uni

Le patrimoine du National Trust

L’institution commémore son centenaire à la National Gallery de Londres

Par Anna Somers Cocks · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1996 - 824 mots

ROYAUME-UNI

Pour célébrer un siècle d’activités et rappeler au public – comme aux pouvoirs publics – l’importance de ses collections, disséminées d’un bout à l’autre du Royaume-Uni, le National Trust expose soixante-douze peintures, provenant de vingt-neuf de ses grandes demeures historiques, à la National Gallery de Londres. Cet anniversaire est aussi l’occasion de faire le point sur les réalisations accomplies et de tracer la voie à suivre pour l’avenir.

LONDRES (de notre correspondante) - Comme l’explique Alastair Laing, responsable du département des Peintures au sein du National Trust et commissaire de l’exposition : "Chaque salle présente un ou plusieurs genres de peinture et illustre par ailleurs les différents aspects du mécénat, ainsi que la diversité des collections d’œuvres d’art au Royaume-Uni", une chronique que le Trust est particulièrement à même de retracer puisqu’il dispose à la fois du cadre historique des œuvres et des archives qui les documentent.

Les sections de l’exposition se répartissent ainsi : "Portraits", de Van Dyck à Carolus-Durand, "Scènes de genre, peintures narratives et art du sport", de Jan Wyck à Tissot, "Le paysage réel", de Cuyp à Benjamin Williams Leader, "Le paysage idéal", de Paul Bril à L’Orizzonte, "La galerie des tableaux", d’Andrea del Sarto à Vernet, et "Le cabinet", de Lucas van Valckenborch à Boucher.

Le catalogue publié par le National Trust prouve, s’il en était besoin, que l’institution répond aux critères d’excellence des musées. Comme l’explique Simon Jervis, ex-directeur du Fitzwilliam Museum récemment nommé à la tête de l’ensemble des grandes demeures historiques et de leur contenu, le Trust n’est pas plus un musée que ne l’est une cathédrale, mais "il a le devoir, dans certaines circonstances, de se comporter en musée".
Dans cet esprit, Simon Jervis a pour objectif de développer plus particulièrement ce type d’activités, tout en continuant de répondre aux critères de présentation et de conservation les plus exigeants. Il reconnaît volontiers que le Trust n’a pas suffisamment publié jusqu’ici, trop absorbé par la gestion de son patrimoine, mais aussi pour des raisons de coût. Étant son propre éditeur, il ne peut se permettre de publier à perte et pourrait faire appel à un partenaire extérieur.

Réutilisation de mortiers à base de chaux
Mais pour Simon Jervis, la contribution la plus originale du National Trust touche moins à l’histoire traditionnelle de l’art qu’à la préservation du patrimoine. Des recherches internes de très haut niveau, à la fois documentaires et comparatives, précèdent tous les travaux de restauration effectués sur les grandes demeures. L’institution a ainsi ouvert la voie à de nouvelles techniques, comme la réutilisation de mortiers à base de chaux, moins agressifs pour les constructions anciennes que les matériaux actuels. Le Trust développe peu d’activités de conservation proprement dites, hormis au Centre de conservation textile de Blickling, mais il bénéficie d’un accès privilégié auprès des spécialistes et exerce aujourd’hui une grande influence dans ce domaine au Royaume-Uni.

Le National Trust concentre ses recherches sur les effets du climat, de la lumière et du vieillissement sur les bâtiments et leurs collections. Sa connaissance des micro-climats constitués dans chaque demeure explique notamment sa prudence en matière de prêts. La plupart des manoirs britanniques affichent un taux d’humidité supérieur à celui des musées et des espaces d’exposition ; par ailleurs, les demeures du Trust, fermées au public en hiver, ne sont pas chauffées. Sortir le mobilier ou les peintures de ce milieu pour les placer dans celui, "idéal" en théorie, du musée peut donc causer d’énormes dégâts du fait des différences de température et d’hygrométrie.

Élitisme et prédilection pour l’aristocratie
Par le passé, la redécoration ou le réaménagement de telle ou telle demeure historique a valu au Trust quelques attaques virulentes de la part d’experts ou d’amateurs éclairés. Ce à quoi Simon Jervis répond : "Nous nous efforçons toujours de conserver l’esprit du lieu, sachant que ce qui convient à un endroit serait déplacé ailleurs." Calke Abbey et Kedleston illustrent les deux extrêmes de cette politique.

Calke Abbey a été laissée dans l’état où le National Trust l’a trouvée, les vitrines d’oiseaux empaillés ont été conservées et l’illusion de la patine des siècles a été recréée dans le Great Hall, après les travaux de restauration. En revanche, à Kedleston, chef-d’œuvre conçu par Robert Adam, le Trust a choisi de supprimer tous les ajouts postérieurs.

De même, il est souvent reproché au Trust son élitisme et sa prédilection pour le seul patrimoine aristocratique de la Grande-Bretagne, ce que récuse Simon Jervis : "Nous avons toujours détenu un important patrimoine de bâtiments vernaculaires à côté des demeures historiques. Il serait exagéré de prétendre que nous leur avons consacré autant d’attention, mais nous n’avons jamais sauvé exclusivement les demeures aristocratiques. Nous venons d’ailleurs d’accepter, et c’est une première, une demeure urbaine de la petite bourgeoisie à Worksop, avec son contenu des années vingt absolument intact."

PEINTURES DES GRANDES DEMEURES HISTORIQUES DU NATIONAL TRUST, National Gallery, Londres, jusqu’au 10 mars. Catalogue publié par le National Trust, 19,99 £ broché, 29,99 £ relié.

2,2 MILLIONS DE MEMBRES

Créé en 1895, le National Trust est une association à but non lucratif, indépendante du Gouvernement. Sa mission, définie par le Parlement, est de protéger "pour toujours et au bénéfice de la nation", le patrimoine architectural présentant un intérêt historique majeur ainsi que les sites naturels les plus admirables d’Angleterre, du pays de Galles et de l’Irlande du Nord. Il bénéficie du soutien de 2,2 millions de membres fidèles, dont les cotisations constituent une part non négligeable de son budget annuel, qui s’élève à plus de 120 millions de livres (près d’un milliard de francs). Le Trust est le premier propriétaire terrien du Royaume-Uni, et ses collections d’œuvres d’art se comptent par dizaines de milliers : ses 8 500 tableaux, pour ne citer qu’eux, représentent trois fois le fonds de la National Gallery. Cette année, près de 10 millions de visiteurs se sont pressés dans ses quelque deux cent trente grandes demeures historiques, alors que le musée le plus fréquenté du Royaume-Uni, le British Museum, n’en a accueilli que 6 millions.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Le patrimoine du National Trust

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