Reflets, halos et mélancolie, les effets de la pluie en milieu urbain ont séduit les peintres de la vie moderne.
Nantes. Le titre, « Sous la pluie. Peindre, vivre et rêver », tout en étant poétique, demeure un peu vague. Selon Marie-Anne du Boullay, conservatrice au Musée d’arts de Nantes et commissaire de l’exposition avec Jeanne-Marie David, conservatrice au Musée des beaux-arts de Rouen (prochaine étape de « Sous la pluie »), peindre renvoie au visuel, vivre au sensible et rêver à l’imaginaire. En associant peinture, photographie, fragments sonores et extraits cinématographiques, la manifestation privilégie ainsi une approche sensorielle.
Pour autant, même si le parcours s’ouvre sur quelques tempêtes, on n’y trouve aucun déluge. Certes, dans Le Défi : un taureau dans la tempête sur la lande (David Cox, 1850), le rideau de pluie, en s’interposant entre le sujet et le regard, forme un voile semi-transparent qui altère partiellement la lisibilité de la scène. Cependant, l’ensemble des œuvres retenues, majoritairement issues du XIXe siècle, évoquent davantage des crachins que de véritables averses. Si l’on reprend la distinction établie par Zola entre cinq types de précipitation – que l’on retrouve dans la préface du riche et original catalogue –, soient l’ondée, la pluie fine, la pluie droite, la pluie tiède et la grêle dévastatrice, cette dernière catégorie est pratiquement absente à Nantes.
Souvent inscrite dans un contexte urbain, la pluie semble à peine perturber les passants, le plus souvent munis d’un parapluie. Plus que des émotions intenses suscitées par des ciels menaçants, ce sont de délicates variations autour d’une pluie « civilisée » qui s’offrent ici au regard.
Les artistes s’attachent à représenter les désagréments que les caprices du ciel imposent aux déplacements des citadins. Parmi eux, les humoristes, au premier rang desquels Honoré Daumier, exploitent inlassablement les mésaventures de la bourgeoisie.
Face aux difficultés engendrées par les perturbations météorologiques, la ville se transforme. Plus précisément, ce sont les nouveaux quartiers haussmanniens – des arrondissements bourgeois par excellence et emblèmes de la modernité urbaine – qui en deviennent la scène privilégiée. C’est l’introduction des pavés qui, en facilitant l’évacuation des eaux, permet d’améliorer la circulation sur les boulevards. Pour les peintres, puis les photographes, ces surfaces mouillées et luisantes offrent l’occasion de jouer avec les reflets et les halos lumineux (Le Boulevard Poissonnière sous la pluie, Jean Béraud, 1889). Mais c’est surtout la petite huile sur toile Rue de Paris, temps de pluie (1877, [voir ill.]) de Gustave Caillebotte qui en propose une illustration remarquable. À Nantes, on trouve également une étude préparatoire pour ce tableau célèbre où, comme le remarquait ironiquement la critique de l’époque, la pluie est absente. Et pour cause : ce sont avant tout les effets de la pluie qui intéressent l’artiste. Parmi eux, l’usage du parapluie ; tout en protégeant les passants, il constitue souvent une barrière contre les contacts humains – à moins qu’il ne les favorise… Chez Caillebotte, à la différence des autres impressionnistes, la pluie est aussi le temps de la mélancolie. Ajoutons que le XIXe siècle est un moment charnière dans l’histoire des innovations liées au parapluie : cet objet fonctionnel devient alors un marqueur social visible.
Un peu à l’écart, le spectateur découvre un ensemble d’estampes, dont certaines d’une grande délicatesse d’Utagawa Hiroshige (1797-1858). Terminons cependant par les rares œuvres contemporaines dispersées dans les salles, les trois Averses de Jean Dubuffet (1958). Ici, la représentation littérale de la pluie cède la place à un essaim de points noirs sur fond gris. Un rêve mouillé ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°667 du 12 décembre 2025, avec le titre suivant : Le Musée de Nantes par temps de pluie





