Art ancien

Le maître Raphaël à Lille

Par Manuel Jover · L'ŒIL

Le 1 mai 2003 - 772 mots

De Londres à Paris en passant par Lille, les grands maîtres de la Renaissance italienne sont à l’honneur ces temps-ci : Titien à la National Gallery, Michel-Ange et Léonard au Louvre, Raphaël à Lille.

Pourquoi Raphaël à Lille ? La raison en est simple. Le palais des Beaux-Arts possède une exceptionnelle collection de dessins italiens, le fameux legs Wicar, dont le « noyau » est un ensemble unique d’œuvres du grand maître.

Jean-Baptiste Wicar (1762-1834) fait partie de la première génération d’élèves de David. Il passe une grande partie de sa vie en Italie, dessinant les tableaux et les sculptures des musées de Florence pour un recueil de gravures de reproductions (1787-1793), ou travaillant à la commission des Arts mise en place par Napoléon pour réquisitionner des œuvres italiennes (1797). Parallèlement, il collectionne, à titre personnel, des dessins. Il forme ainsi trois collections successives, qui connurent des fortunes diverses, parfois rocambolesques. C’est la dernière en date qu’il lègue à sa ville natale : pas moins de mille cent vingt dessins italiens, allant du XVe au XVIIIe siècle, dont soixante-dix de Raphaël ou attribués.
Si plusieurs expositions ont déjà révélé au public des pans entiers de ce fonds, celle-ci montre les œuvres de Raphaël lui-même, de son entourage, et des artistes d’Italie centrale ayant un rapport avec lui, entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle.

Né à Urbin en 1483, fils d’un peintre réputé en son temps, Giovanni Santi, qui lui apprend les rudiments de son art, et sans doute aussi le sensibilise à la culture intellectuelle de son temps, Raphaël entre très jeune dans l’atelier du Perugin, dont il adopte le style. À vingt ans, il est déjà un dessinateur réputé au point de fournir des esquisses très abouties pour les fresques que Pinturicchio, beaucoup plus âgé que lui, réalise à la Bibliothèque Piccolomini à Sienne.  

Puis il quitte l’Ombrie pour Florence, en 1504. Là il est en contact avec l’art plus « évolué » des grands maîtres de la fin du Quattrocento : Sandro Botticelli, Filippino Lippi, Domenico Ghirlandaio ou Fra Bartolommeo, tous représentés dans cette exposition, le dernier avec de superbes études à la pierre noire de drapés et de personnages aux formes ramassées et puissantes.

Raphaël aurait acquis auprès de Fra Bartolommeo une connaissance approfondie de la perspective. Mais le jeune artiste, très réceptif aux nouveautés artistiques, est surtout frappé par la « grande manière » de Léonard de Vinci et de Michel-Ange qui, en ce début de siècle, redonnent une formidable impulsion à la vie artistique florentine. Du premier, il retient la complexité des compositions, la subtilité des notations lumineuses et des expressions ; du second, la puissance plastique, la force du dessin, la maîtrise dans le traitement du corps humain. À Rome à partir de 1508, Raphaël conquiert rapidement la première place au sein de la vie artistique de la ville, en peignant les fameuses fresques des « Chambres » du Vatican.

Les dessins du legs Wicar couvrent surtout la première moitié de la carrière de Raphaël, environ de 1503 à 1512. L’artiste emploie de multiples techniques graphiques, de la pierre noire et la pointe d’argent à la sanguine. Il change fréquemment de technique, au sein d’une même série de dessins préparatoires, selon qu’il étudie un détail ou l’ensemble, une tête, un nu ou un drapé. Les études de figures pour La Dispute du Saint Sacrement, L’École d’Athènes et Le Parnasse comptent parmi les plus remarquables. L’« école » de Raphaël fut extrêmement féconde, et l’impact de son art considérable. Ses principaux disciples sont ici représentés : Sebastiano del Piombo, Giulio Romano, Perino del Vaga, Polidoro da Caravaggio, ce dernier avec une superbe Transfiguration très inspirée de l’ultime chef-d’œuvre de son maître. L’exposition fait enfin le point sur le dessin à Florence autour de 1520, date de la mort de Raphaël, avec des œuvres d’Andrea del Sarto, Francesco Salviati et surtout Pontormo. Dessinateur d’une virtuosité ébouriffante et d’un charme inouï, Pontormo est le grand représentant du maniérisme florentin. Il emprunte aussi bien à Raphaël qu’à Michel-Ange, tout en créant un style totalement original. Les dessins de Lille, dont certains sont célèbres, forment à eux seuls un ensemble fascinant. Par sa conception incroyablement plastique et dynamique de la forme vivante,  la  « nervosité » de son trait et de ses modelés, mais aussi par la fièvre érotique et morbide qui agite ses figures, Pontormo est très proche de notre sensibilité moderne, beaucoup plus sans doute que la plupart de ses contemporains, et que le grand Raphaël lui-même.

LILLE, palais des Beaux-Arts, place de la République, tél. 03 20 06 78 00, 17 mai-21 juillet.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°547 du 1 mai 2003, avec le titre suivant : Le maître Raphaël à Lille

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