Renaissance

Raphaël, les Romains l’attendent avec impatience

ROME / ITALIE

L’exposition la plus exhaustive consacrée au génie de la Renaissance a fermé, trois jours seulement après son ouverture, victime du coronavirus. Notre correspondant a pu la visiter.

Rome. À peine inaugurée et déjà fermée. L’exposition consacrée à Raphaël pour les 500 ans de sa mort avait ouvert en grande pompe le 5 mars. 70 000 visiteurs avaient déjà réservé leur billet en ligne pour ne pas manquer cette exposition inédite. Mais, par décret gouvernemental, tous les musées d’Italie sont fermés jusqu’au 3 avril, au moins, pour éviter la propagation du coronavirus et, avec eux, les Écuries du Quirinal qui abritent cette « exposition événement ». Si on a trop souvent abusé de ce qualificatif, il n’est cette fois pas usurpé. Pas seulement parce que l’une des principales crises sanitaires de ce début de XXIe siècle la suspend ou parce qu’à la veille de son inauguration le comité scientifique des Offices de Florence a démissionné en bloc pour protester contre le prêt du Portrait du pape Léon X [voir ill.] à l’exposition [œuvre déclarée comme inamovible par le comité].

Pour une fois, l’Italie déroge à l’une des caractéristiques de sa politique culturelle qui privilégie aux grandes rétrospectives dans sa capitale une multitude d’événements dans les importants musées disséminés sur l’ensemble de son territoire. Elle a bravé ses lourdeurs bureaucratiques et son habitude d’organiser les grands rendez-vous dans l’urgence pour être prête à rendre hommage à Raphaël. Trois ans ont été nécessaires pour monter la plus grande exposition jamais réalisée autour de cet artiste. Avec 204 œuvres réunies dont 120 de la main du maître – parmi lesquelles 27 toiles –, elle a coûté près de 3 millions d’euros et a été assurée pour plus de 3 milliards d’euros, montant record jamais atteint en Italie.

Atteindre l’exhaustivité

Cinquante-quatre grandes institutions culturelles et collections privées italiennes et internationales ont contribué à ce qu’Eike Schmidt, le directeur des Offices de Florence, a désigné comme une « exposition historique, la plus importante sur Raphaël qu’il nous sera permis de voir de notre vivant et qui fait la fierté de l’Italie ». Un enthousiasme qui s’explique notamment par le fait que le musée florentin est son plus grand contributeur avec neuf tableaux et une quarantaine de dessins. Le Louvre a prêté l’emblématique Portrait de Baldassare Castiglione (1514-1515) et l’Autoportrait avec un ami (1520), ainsi que trois dessins. Des National Gallery de Londres et Washington au Musée de Prado de Madrid, en passant par le British Museum, l’Albertina de Vienne, l’Alte Pinakothek de Munich ou encore la Galleria Borghese et le Palazzo Barberini de Rome, l’effort pour rassembler le plus vaste et le plus complet corpus possible a payé.

À la différence de la dernière grande exposition commémorant, en 1983, les 500 ans de la naissance de Raphël, les commissaires Matteo Lafranconi et Marzia Faietti n’ont pas uniquement voulu montrer que le peintre méritait son surnom de « divino pittore », excellant dans la représentation des madones et des christs poupins. Les nombreux plans exposés témoignent de ses qualités d’architecte et d’urbaniste, et la lettre rédigée avec Baldassare Castiglione adressée au Pape Léon X l’érige au rang des précurseurs des notions de monument historique et de conservation du patrimoine. Ses idées inspireront d’ailleurs l’article 9 de la Constitution italienne qui confie à la République le soin de « protéger le paysage et le patrimoine historique et artistique de la Nation ». C’est donc l’image d’un artiste et d’un intellectuel universel de la Renaissance qui était donné à voir et dont la renommée n’a rien à envier à celle de Léonard de Vinci qu’il a d’ailleurs fréquenté lorsque ce dernier séjournait à Rome entre 1513 et 1516.

Un parcours à rebours

Sa romanité est avant tout mise en exergue en présentant un « Raphaël à rebours ». Le destin de l’artiste est intimement lié à la cité éternelle dans laquelle il embellit notamment le palais du pape Jules II et où il trouvera la mort, emporté à 37 ans seulement par une « mauvaise fièvre ». À rebours donc, comme l’indique « 1520-1483 », le sous-titre de l’exposition, laquelle s’ouvre par une reconstitution grandeur nature de la tombe de l’artiste au Panthéon. Une mise en scène et un parcours qui pèchent par leur manque d’originalité pour présenter ensuite sa période florentine et s’achever par ses années de formation en Ombrie et sa naissance à Urbino.

Le fil rouge proposé au visiteur était celui de l’étroit rapport de Raphaël avec l’Antiquité comme le prouve les très, et souvent trop, nombreux dessins exposés avec un effet parfois lassant. Certaines toiles sont ainsi présentées parmi leurs dessins préparatoires. D’autres sont en revanche sacrifiées par un éclairage décevant. C’est le cas pour l’admirable Portrait du pape Jules II provenant de la National Gallery de Londres, pour la toute première fois réuni avec celui de son successeur Léon X. Il est placé dans un angle et le visiteur doit mesurer au millimètre près la distance à laquelle l’observer pour éviter les reflets que provoque un phare pointé sur le souverain pontife. Une négligence dont ne souffre aucunement la très belle salle des portraits féminins mettant côte à côte les chefs-d’œuvre La Fornarina et LaDonna Velata, ou ce peu connu mais très délicat portrait d’adolescent. Un écho au célèbre autoportrait de Raphaël datant de 1506 qui clôt une exposition dont le foisonnement parfois brouillon n’enlève rien à l’extraordinaire qualité.

Raphaël, 1520-1483,
prolongée jusqu'au 30 août, Écuries du Quirinal, via XXIV Maggio 16, Rome.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Raphaël, les Romains l’attendent avec impatience

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