Archéologie

Le Machu Picchu à Paris, une installation immersive malheureuse

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 4 juillet 2022 - 850 mots

PARIS

La société World Heritage Exhibitions a installé sa dernière attraction dans la Cité de l’architecture et du patrimoine : un parcours confus qui joue sur tous les fantasmes qu’évoquent les civilisations précolombiennes.

Paris.« Une petite photo avec le Machu Picchu ? » Avant même d’entrer dans l’exposition, le dépliant touristique donne le ton. Mais les visiteurs attirés à la Cité de l’architecture et du patrimoine par la perspective de découvrir la citadelle inca du XVe siècle vont être déçus, car du Machu Picchu, il ne sera plus vraiment question tout au long du parcours immersif imaginé par World Heritage Exhibitions, société spécialisée dans la production d’expositions hors norme.

Pour sa précédente prestation à Paris, le président de cette société américaine, John Norman, avait monté une grande exposition au titre beaucoup plus explicite, « Toutânkhamon, le trésor du Pharaon » ; 1,4 million de visiteurs avaient déambulé entre les vitrines blindées parsemées sur le plateau de la Grande Halle de la Villette plongée dans la pénombre : une exposition frisson et grand public, mais qui ne faisait pas injure à son sujet.

Cette année, John Norman a jeté son dévolu sur le Palais de Chaillot pour présenter une exposition beaucoup moins respectueuse du discours scientifique, des cultures dont les objets sont ici présentés et du public. Titrer sur un site du patrimoine mondial célèbre pour attirer les visiteurs et ne l’évoquer que par quelques généralités imprimées sur quelques kakemonos rapidement tendus avant la boutique, avec un ticket à 22 euros (24 euros les week-ends et jours fériés) et un audioguide proposé à 7 euros, c’est rude !

Des erreurs et des approximations

En fait de culture Inca, le parcours expose essentiellement des objets issus de la culture Moche. En toute logique, puisque l’institution prêteuse, le Museo Larco de Lima, conserve une collection de presque 40 000 céramiques mochicas, production qui a fait la renommée de cette civilisation pré-Inca chez les archéologues. Mais au lieu d’assumer cette prédominance dans les artefacts présentés, l’exposition préfère évoquer vaguement « les civilisations de l’ancien Pérou ». Un passage obligé par le film introductif, façon National Geographic, plonge dès le début le visiteur dans une ambiance de jungle tropicale, bien que la civilisation Moche se soit développée sur les côtes semi-désertiques du nord du Pérou, 1 300 ans avant l’avènement des Incas.

Chavin, Nasca, Huari, Chimu font partie de la petite dizaine de cultures évoquées par leurs objets dans ce parcours. Mais aucune frise chronologique, ni de carte, pas même de texte explicatif pour situer ces diverses civilisations dans le temps et la géographie andine : la présentation de 2 500 ans d’histoire tient en une poignée de secondes, à la fin du film d’introduction, où les noms de ces peuples surgissent sur l’écran comme ceux des acteurs vedettes dans la bande-annonce d’une superproduction hollywoodienne. Plus loin, entre deux vitrines, certains visiteurs se plongeront dans leur smartphone pour consulter Wikipédia et pallier le manque criant de contextualisation.

Les vitrines entretiennent largement ce flou, en mettant en scène sur le même plan des objets venus de cultures différentes, distantes de plusieurs siècles, sans s’attarder sur les liens historiques entre ces civilisations. Les brefs textes des cimaises expédient quelques explications symboliques, là aussi hors de tout contexte : la spirale représente les cycles, le bleu symbolise le ciel et le jaune évoque le désert, lesquels sont opposés mais complémentaires… Les cartels sont aussi hermétiques et vides de sens qu’un horoscope de magazine bas de gamme. Morceau choisi : « Le dragon andin est étroitement lié au Monde intérieur par son association avec la Lune. »

Ambiance mystique artificielle

On peut légitimement se demander si ce discours volontairement creux ne vient pas conforter quelques préjugés occidentaux sur les civilisations précolombiennes. Ainsi, des termes récurrents de « cosmovision », ou de « pachamama », qui méritent d’être définis clairement, sont ici abandonnés au sens pseudo-spirituel que leur a donné le courant New Age. La vidéo immersive représentant la métamorphose d’un chaman en divers animaux confirme cette hypothèse, en développant une esthétique entièrement puisée dans ce courant spirituel qui agglomère dangereusement les croyances extra-occidentales, pour les transformer en manuels de développement personnel et parfois en dérives sectaires.

Quand le cliché de l’Amérique de la spiritualité et de la proximité avec la nature est épuisé, c’est celui des sacrifices humains qui est largement exploité. Un fait culturel avéré, particulièrement important dans la culture Moche, qui mérite lui aussi une véritable mise en perspective. Mais certainement pas avec le petit film animé proposé ici, sur fond d’un décor enflammé, au ton terrorisant, et à côté duquel le long métrage caricatural de Mel Gibson, Apocalypto, pourrait passer pour un documentaire.

Baignant dans une ambiance sonore où dominent des tambours épiques, le parcours est ponctué d’écrans inutiles sur lesquels les objets présentés en vitrine tournoient sur eux-mêmes comme des toupies : même l’aspect immersif de l’exposition, censé être le point fort de World Heritage Exhibitions, est raté. Une fois arrivé dans la salle des trésors, où parures et couronnes sont présentées pêle-mêle, il est temps de quitter les lieux : la sortie se trouve juste après le panneau publicitaire du partenaire de l’exposition, la chaîne hôtelière Inkaterra.

Machu Picchu et les trésors du Pérou,
jusqu’au 4 septembre, Palais de Chaillot, Cité de l’architecture et du patrimoine, 1, place du Trocadéro et du 11-Novembre, 75016 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Le Machu Picchu à Paris, une installation immersive malheureuse

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