Art ancien

Le gothique du XIIe siècle à nos jours

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 23 septembre 2025 - 1027 mots

De la naissance des cathédrales au Moyen Âge jusqu’aux goths contemporains, le gothique traverse notre histoire. Jusqu’en janvier, le Louvre-Lens en dresse un panorama exceptionnel grâce à plus de 250 objets d’art.

1. Vous avez dit "gothique" ?

Commandé vers 1135 par l’abbé Suger pour éclairer l’intérieur de son église abbatiale, ce vitrail de la basilique de Saint-Denis témoigne de la naissance du gothique, caractérisé par la couleur, la lumière qui « resplendit à l’intérieur », comme l’écrit Suger, la voûte en croisée d’ogives, mais aussi des représentations humaines aux postures plus naturelles. Dans ses mémoires, l’abbé raconte avoir fait venir des artistes d’autres nations. « On pense qu’il s’agissait de peintres de la vallée de la Meuse car on reconnaît, dans ce vitrail, le style de Liège à cette époque », relève Florian Meunier, conservateur en chef du patrimoine au département des Objets d’art du Louvre et commissaire scientifique de l’exposition « Gothiques ». Le gothique serait ainsi né de la rencontre des deux grands foyers artistiques de Paris et de Liège. Ce que nous appelons aujourd’hui art « gothique » est cependant désigné au Moyen Âge par la seule expression opus francigenum, « art venu de France ». Ce mot qui reprend le nom d’un peuple barbare de l’Antiquité, les « Goths », n’apparaît qu’au XVe siècle pour désigner cet art médiéval dénué de références antiques. C’est seulement au XIXe siècle qu’une distinction claire entre roman et gothique est établie.

2. Une architecture céleste

Attribué à Jan Van Eyck (1390-1441), ce panneau peint, sans doute détaché d’une scène religieuse dont il était le décor, donne à voir l’élan vers le ciel de l’architecture gothique, ainsi que sa transparence. Le style rayonnant, dont cette peinture à l’huile sur bois est une des représentations, se caractérise par des éléments très fins, comme les meneaux – ces lignes de pierres qui divisent une fenêtre en dessinant des architectures extrêmement légères. Ce style, né à l’époque de Saint Louis (1214-1270), succède au gothique classique, qui se développe à partir de 1200, et se distingue par un équilibre entre les pleins et les vides. « Dans le gothique rayonnant, on observe une prédominance des vides et de la lumière », souligne Florian Meunier. Celui-ci s’incarne à Paris dans la Sainte-Chapelle de Saint Louis et le transept de Notre-Dame, ainsi que dans les cathédrales de Beauvais, d’Amiens, puis de Cologne.

3. Le sourire des anges

Voilà plus de sept siècles qu’ils nous sourient. Ces anges élancés aux cous très fins, en bois dorés, typiques du gothique qui se développe à la fin du XIIIe siècle, arborent le même sourire que l’ange de la cathédrale de Reims. Prêtés par le Musée d’Arras, ils proviennent sans doute de la cathédrale d’Arras, détruite pendant la Révolution, dont ils auraient encadré l’autel. Ils sont spécifiques du 3e style gothique, à la mode à Paris dès 1250, à l’époque de Saint Louis, et qui s’est ensuite développé en France et en Europe. On le retrouve à la Sainte-Chapelle, comme à Reims. Ce style qui se caractérise par des drapés très épais, d’élégants yeux en amande et un sourire aimable se poursuit sous le règne du petit-fils de Saint Louis, Philippe Le Bel, qui monte sur le trône en 1285, à 17 ans et obtient du pape la canonisation de son grand-père. « On pense qu’il reprend des formules de l’époque de Saint Louis pour augmenter le prestige de la monarchie », analyse Florian Meunier.

4. Néogothique à gogo

Acheté récemment par le Musée des arts décoratifs de Strasbourg, cet ensemble complet de meubles réalisé vers 1865 par l’ébéniste Maximilien-Henri Hiolle pour le cabinet d’un praticien strasbourgeois, Jean-Chrétien Heiser, témoigne avec éclat du retour du goût gothique au XIXe siècle. « En France, ce goût s’exprime dans le roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo ou dans les restaurations d’Eugène Viollet-le-Duc, mais il se développe aussi au niveau mondial, en Europe comme en Amérique. On reconnaît la nécessité de préserver et restaurer ce patrimoine, en même temps qu’on désire le réactiver et en faire une création du temps », souligne Annabelle Ténèze, directrice du Louvre-Lens et commissaire générale de l’exposition. C’est ainsi que s’élabore d’un répertoire ornemental nouveau dans les arts décoratifs, inspiré par les décorations des cathédrales gothiques. Ce genre nommé « cathédrale » s’identifie par ses formes élancées et son ornementation. Il se développe tout au long du XIXe siècle et se décline en une grande variété de formes et de typologies d’objets.

5. Le fantastique noir

Une bête ailée, tapie dans les volutes d’une cathédrale qui semble battue par les vents, scrute la ville endormie. S’il ne reste au XIXe siècle que des vestiges des gargouilles médiévales de Notre-Dame de Paris, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, en charge de la restauration de l’édifice, s’est inspiré de celles décrites par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris pour dessiner des « monstres grimaçants penchés dans le vide », qui seront mis en lumière par les photographes. Cette photographie de Brassaï (1899-1984) révèle la fascination qui s’est développée à partir du XIXe siècle pour une esthétique gothique noire, mystérieuse, jouant sur les contrastes d’ombre et de lumière, née du roman anglais, du goût pour les ruines médiévales, les jardins abandonnés et les tombeaux des abbayes. « Cette gargouille témoigne du souci pour le patrimoine en même temps qu’elle anticipe le fantastique populaire du gothique contemporain, du renversement social, qui s’est manifesté tout au long du XXe siècle, par exemple dans la figure de Batman », explique Annabelle Ténèze.

6. Goths des pieds à la tête

En s’inspirant de l’esthétique gothique, et notamment du gothique « brabançon », ce style architectural caractérisé par l’élancement des formes, typique des régions du Brabant en Belgique, cette étonnante robe de la créatrice Iris Van Herpen (née en 1984) évoque aussi la prouesse technologique que constitue ce mouvement. « La verticalité des gratte-ciel rappelle les recherches d’élévation menées par les architectes médiévaux », observe Annabelle Ténèze. Ici, la cathédrale devient une seconde peau. Cette robe relève à la fois d’un goût pour le médiévalisme et le fantastique, évoquant un habit de super-héroïne. « Elle est paradoxale : elle s’inscrit dans une mode pour le vêtement gothique, souvent associée au noir et aux dentelles, mais propose une autre expression, architecturale… Cette contre-culture contemporaine influence aussi la haute couture ! », souligne la directrice du Louvre-Lens.

À Voir
« Gothiques », Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, Lens (62), jusqu’au 26 janvier 2026, www.louvrelens.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°789 du 1 octobre 2025, avec le titre suivant : Le gothique du XIIe siècle à nos jours

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