Art contemporain - Frac

XXIE SIÈCLE / VISITE GUIDÉE

Le Frac Auvergne mise sur Johanna Mirabel

Par Éva Hameau · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2025 - 560 mots

Portée par une scénographie et une médiation soignées, cette première exposition de l’artiste met en lumière son talent. Ses huiles sur toile témoignent d’une grande maîtrise technique.

 Johanna Mirabel. © DR
Johanna Mirabel.
© D.R.

Clermont-Ferrand. D’aucuns voient le retour de la peinture figurative d’un œil circonspect. Avec force, le Frac Auvergne leur rétorque que la scène française regorge de jeunes peintres talentueux. Avec « Habiter le chaos », l’institution clermontoise démontre qu’elle occupe une place de choix en matière de soutien à l’émergence dans le champ pictural. Pour la première exposition personnelle de Johanna Mirabel (née en 1991), la commissaire et co-directrice du Frac par intérim, Laure Forlay, a opté pour un parcours chrono-thématique qui permet d’apprécier l’évolution de la pratique de l’artiste entre sa diplomation aux Beaux-Arts de Paris en 2019 et aujourd’hui. La scénographie, sobre et aérée, valorise chaque toile tout en ménageant de belles correspondances visuelles entre les sections grâce aux perspectives offertes par l’architecture. Quant aux textes de salles, qui abondent d’informations sur la technique, ils permettent aux visiteurs de plonger dans l’univers d’une artiste oscillant entre attachement à la tradition picturale et affirmation d’un vocabulaire plastique singulier.

Johanna Mirabel, Sleeping Room n°9, 2023, huile sur toile, 174 x 212 cm. © Johanna Mirabel / Galerie Nathalie Obadia
Johanna Mirabel, Sleeping Room n°9, 2023, huile sur toile, 174 x 212 cm.
© Johanna Mirabel / Galerie Nathalie Obadia
La composition, moteur de la narration du tableau

Des enseignements des grands maîtres, la jeune artiste a retenu le rôle prépondérant de la composition pour la structuration narrative d’un tableau. Sa manière d’organiser ses intérieurs domestiques, selon une hiérarchie pyramidale, en est le reflet : elle n’hésite pas à valoriser ses diagonales par l’intermédiaire d’obliques parallèles et par le contraste avec des lignes horizontales et verticales en bordure de toile. Sleeping Room n°9 (2023) (voir ill.) est, à ce titre, édifiante : le bras de la figure représentée dans la partie inférieure droite marque le point de départ d’une diagonale ascendante soutenue par des lignes obliques formées par le corps de la femme alanguie au sommet de la pyramide. Chez Mirabel, la ligne structure bien plus que la couleur, et pour cause : les corps, les murs et les sols s’inscrivent tous dans une tonalité d’ensemble ocre-sanguine. L’artiste, qui trace ses figures après avoir peint selon une gestuelle expressionniste, rehausse certaines parties à l’huile pâteuse ou sèche pour leur conférer un volume et une couleur propres tandis que certains corps restent dénués d’enveloppe charnelle. Dans Sleeping Room n°10 (2023), le modelé souple du visage et de la main gauche de la figure – sa posture est une référence directe à la gravure El sueño de la razón produce monstruos (1799) de Goya – contraste avec son bras droit et la ligne de son dos, à peine esquissés au fusain. L’extrême dilution de l’huile lui permet d’obtenir des êtres à l’allure fantomatique : les membres inférieurs de l’une des figures de Paré masqué (2024), formés à partir de coulures, se détachent à peine d’un parquet dont les détails du bois sont rendus de façon saisissante.

Johanna Mirabel, Paré masqué n°2, 2024, Huile sur toile, 175 x 215 cm.  © Johanna Mirabel / Galerie Nathalie Obadia
Johanna Mirabel, Paré masqué n°2, 2024, huile sur toile, 175 x 215 cm.
© Johanna Mirabel / Galerie Nathalie Obadia

Johanna Mirabel exploite toute la force expressive du non finito. Elle ne déploie jamais ses réserves – des pans de toile seulement recouverts par une fine couche de Gesso – au hasard : dans le tableau Paré masqué, qui reprend la composition des Squelettes se disputant un pendu (1891) de James Ensor, la réserve centrale sert à marquer l’opposition entre les deux hommes et à attirer l’œil sur le fameux pendu étendu sur le sol. Mirabel est assurément une grande peintre, en cela qu’elle maîtrise aussi bien l’art du plein que du vide.

Johanna Mirabel – Habiter le chaos,
jusqu’au 18 janvier 2026, Frac Auvergne, 6, rue du Terrail, 63000 Clermont-Ferrand.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°664 du 31 octobre 2025, avec le titre suivant : Le Frac Auvergne mise sur Johanna Mirabel

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