L’autre cerveau

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 juin 2003 - 453 mots

La gloire de Wim Delvoye répond au doux nom de Cloaca, une machine que l’artiste belge a mise au point pendant plusieurs années, un bijou de technologie et d’invention conçu avec le concours de techniciens et de scientifiques avisés. Mais on est loin des machineries autodestructrices de Jean Tinguely ou de la machine célibataire de Duchamp lorsque l’on sait que Cloaca est un… système digestif  ! ! Cet alambic de douze mètres de long passe en effet son temps à manger, à digérer dans l’unique but de produire des étrons qui atterrissent en bout de chaîne sur un plateau. Évidemment, dans de telles conditions, on crie au scandale, surtout lorsque des grands chefs lyonnais sont associés au projet pour contenter les papilles de cette délicate et difficile mécanique. Mais heureusement, si les déjections de Cloaca (nom des égouts dans la Rome antique) constituent déjà un but en soi pour Wim Delvoye, également digne d’intérêt pour l’histoire de l’art qui en a déjà vu de belles avec Manzoni ou Gasiorowski, elles se sont pas l’unique objet de cette prouesse technologique. Ce monstre de verre et de métal nous transporte dans une aventure intérieure des plus passionnantes en dévoilant ce que personne jusqu’ici n’avait réussi à parfaitement recréer : la digestion. Et lorsque l’on sait que notre abdomen constitue le second centre autonome et névralgique du corps grâce à des centaines de neurones entériques, on comprend d’autant mieux l’entreprise de ce Belge qui marie l’humour et l’impertinence au plus sérieux des sujets d’étude. Cloaca en est déjà à sa deuxième version, plus perfectionnée. Au-delà de la science et de l’apparence physique, ses enzymes et ses bactéries bouillonnent en permanence et nous renvoient à cette intimité abdominale cruciale qui va parfois jusqu’à nous obnubiler totalement. Entourée d’une bétonnière en porcelaine Wedgwood, de bouteilles de gaz en faïence de Delft, ou de mosaïques complexes en jambon et salami, Cloaca donne aussi toute la mesure du délire de Delvoye. Pourfendeur d’un artisanat tombé dans l’oubli et d’un sens du détail dédaigné par l’art contemporain, cet artiste n’a aucun tabou et recourt à la culture populaire pour redorer le blason de la sculpture de bois précieux ou de la peinture sur porcelaine. Il ne compte plus les centaines d’heures de travail minutieux qu’il lui a fallu pour réaliser une cage de but de football en vitrail ou un camion grandeur nature en tek ouvragé. Dérisoires et à la fois tellement justes, les œuvres de Delvoye ne se départissent jamais d’une sacrée dose d’humour, à l’image de leur créateur qui attendait impatiemment sa venue en France. Gastronomie oblige !

« Wim Delvoye », LYON (69), musée d’Art contemporain, 81 cité internationale, tél. 04 72 69 17 18, jusqu’au 10 août.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°548 du 1 juin 2003, avec le titre suivant : L’autre cerveau

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