Art ancien

XVIIE SIÈCLE

L’Âge d’or hollandais à Abou Dhabi, entre art et diplomatie

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 27 février 2019 - 875 mots

ABOU DHABI / ÉMIRATS ARABES UNIS

Le Louvre Abou Dhabi expose Rembrandt, Vermeer et le Siècle d’or hollandais en confrontant œuvres du Louvre et collection privée. Un événement diplomatique pour une exposition dense et finalement réussie.

Abou Dhabi (Émirats arabes unis). Près de deux ans après être sortie de l’anonymat lors d’une première exposition parisienne (lire JdA n° 474), la collection Leiden, réunie depuis 2003 par le milliardaire américain Thomas Kaplan, s’offre une étape émiratie.

Plus qu’une simple exposition des chefs-d’œuvre de la collection, comme vu à Paris, et de manière plus élargie à Pékin, Shanghaï, Moscou et Saint-Pétersbourg, les équipes du Louvre Abou Dhabi, du Louvre et de France Museum ont concocté un fin maillage entre la collection Leiden et les collections du Louvre, mettant en lumière l’extrême qualité de cette toute jeune collection de près de 250 œuvres, qui soutient la comparaison avec le noyau envoyé depuis Paris.

« Une alliance inclusive » : c’est ainsi que Thomas Kaplan présente volontiers l’exposition « Rembrandt, Vermeer et le siècle d’or hollandais », « des tableaux de peintres néerlandais du XVIIe siècle, réunis par un juif new-yorkais, exposés par un musée français dans un musée du Golfe, il n’y a qu’à Abou Dhabi que cela aurait été possible », explique avec un grand sourire le collectionneur. Surtout, Thomas Kaplan ne cache pas sa grande proximité avec les dirigeants de l’émirat : « Tout comme le sentiment d’être chez moi à Paris, le bonheur d’être le confrère des Émiriens a joué dans ma vie un rôle déterminant »,écrit-il dans le catalogue. Et d’ajouter devant les journalistes : « Le Louvre Abou Dhabi représente la plus grande initiative culturelle de notre temps, la réponse la plus directe à l’intolérance. »« La République des Provinces-Unies du XVIIe siècle est un excellent paradigme pour les Émirats arabes unis et autres États du Golfe au XXIe siècle. En effet, ce petit État était devenu à l’époque le cœur économique de l’Europe, plaque tournante du commerce, du tourisme, des voyages, de la culture et de l’éducation », écrit quant à lui dans le catalogue Mohamed Khalifa Al Mubarak, président du département de la Culture et du Tourisme d’Abou Dhabi.

Un parcours soigné

Cette exposition a donc une valeur symbolique et diplomatique, mais son intérêt ne s’arrête pas là. La qualité et la richesse des œuvres présentées légitiment l’événement, dans un parcours de 95 peintures, dessins et objets alternant chefs-d’œuvre et raretés. Aux manettes, Blaise Ducos, conservateur en chef des peintures flamandes et hollandaises au Musée du Louvre, et Lara Yeager-Crasselt, conservatrice en charge de la collection Leiden, ont mêlé œuvres du Louvre et de la collection Leiden dans un parcours thématique très pédagogique, mettant en scène la richesse de l’art hollandais du XVIIe siècle. Autour des figures tutélaires de Rembrandt et Vermeer, c’est une galaxie d’écoles, de manières, de peintres qui peuple le monde de l’art de l’époque.

Une première salle introduit le paysage politique de l’époque : une maquette d’un vaisseau de guerre hollandais [voir illustration], prêté par le Rijksmuseum d’Amsterdam, évoque le destin de ce petit pays, cerné de voisins hostiles, devenu une grande puissance mondiale à travers la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

Bien sûr, Rembrandt (1606-1669) est mis à l’honneur dès ses premières années à Leyde. Une Étude d’une femme à la coiffe blanche (vers 1640, coll. Leiden) impressionne par sa délicatesse et l’intensité psychologique de cette vieille femme digne et fatiguée. Jan Lievens (1607-1674), également formé à Leyde, est représenté grâce à un élégant Autoportrait (vers 1629-1630, coll. Leiden), illustrant sa parfaite maîtrise picturale. Les deux peintres, collaborateurs puis concurrents, sont rapprochés : les Allégories des sens de Rembrandt (vers 1624, coll. Leiden) trouvent des échos dans les Joueurs de cartes de Lievens (vers 1625, coll. Leiden). Du même peintre, un Garçon à la cape et au turban (Portait du prince Rupert du Palatinat) (vers 1631, coll. Leiden) présente un jeune prince occidental en costume oriental : comme un écho inversé d’aujourd’hui.

Autre moment fort de l’exposition, la salle consacrée à la peinture « fine » (« fijnschilderij ») de Leyde. Là, l’Autoportrait à la palette de Gerard Dou (vers 1660), venu du Louvre, côtoie l’Autoportrait au béret à plume de Frans Van Mieris l’Ancien, (1668, coll. Leiden). Devant ses œuvres qui pourraient tenir dans la paume d’une main, il faut prendre son temps, et savourer les rapprochements permis par les deux collections.

Deux Vermeer

Autre point d’orgue de l’exposition : la réunion de deux tableaux de Vermeer issus du même rouleau de toile. La Dentellière (vers 1669-1670) du Louvre et la Jeune Femme assise au virginal (vers 1670-1672) [voir illustration] de la collection Leiden sont réunies. Deux scènes de la vie quotidienne des élites hollandaises, deux jeunes femmes à l’ouvrage dans un intérieur sobre, ouvrant la porte à tous les imaginaires.

Quelques jours avant l’inauguration de l’exposition, le Louvre Abou Dhabi a annoncé l’acquisition par le musée d’une toile de Rembrandt. Tête de jeune homme, les mains jointes, étude pour la figure du Christ (vers 1648-1656), esquisse peinte présentée au Musée du Louvre en 2011 lors de l’exposition « Rembrandt et la figure du Christ » rejoindra les collections permanentes du musée à la fin de l’exposition temporaire. « C’est la première fois qu’un chef-d’œuvre de Rembrandt rejoint une collection publique de la région du Golfe », s’est félicité le musée : à Abou Dhabi, art et diplomatie sont intimement mêlés.

Rembrandt, Vermeer et le Siècle d’or hollandais, chefs-d’œuvre de la collection Leiden et du Musée du Louvre,
jusqu’au 18 mai, Louvre Abou Dhabi, Quartier culturel de Saadiyat, Abou Dhabi, Émirats arabes unis.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°518 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : L’Âge d’or hollandais À AbOu Dhabi, entre art et diplomatie

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