À la Tate Britain, Bacon sauvé par lui-même

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 27 octobre 2008 - 504 mots

Rétrospective, l’exposition que la Tate Britain consacre à Francis Bacon pour célébrer le centième anniversaire de sa naissance est décevante à plus d’un titre.

Tout d’abord parce qu’elle a lieu dans cette honorable institution et non à la Tate Modern où son œuvre aurait trouvé la place pleinement contemporaine qu’elle mérite. Ensuite parce qu’elle orchestre le rassemblement d’une soixantaine de tableaux regroupés selon un canevas thématique qui en perturbe le puissant déroulement. Enfin parce que ceux-ci sont tous enfermés sous verre dans de balourds cadres dorés, alignés d’une salle à l’autre en un accrochage plutôt plat.

La peinture, avant l’humain
Malgré cela et cette étrange façon qui donne à voir de Bacon une image exclusivement dramatique laissant à penser qu’il n’y a pas, même chez lui, de jouissance à peindre, l’exposition londonienne ne manque pas de combler l’œil et l’esprit. C’est que la peinture pour elle-même l’emporte heureusement toujours chez lui : elle a d’ailleurs raison de la salle très confuse des archives du contenu de son atelier. Mais c’est aussi que les deux commissaires, Matthew Gale et Chris Stephen, ont réuni nombre de toiles tout à fait intéressantes. Le parcours tracé, de 1944 à la mort du peintre, rassemble portraits, autoportraits et triptyques qui mettent en jeu une figure humaine résolument isolée, inquiétante et hurlante, dans un face-à-face existentiel avec elle-même.
Il suffit de focaliser son regard sur cette Étude pour le portrait du pape Innocent X d’après Vélasquez (1953) ou sur les portraits d’Henriette Moraes et d’Isabel Rawsthorne (1966) pour tout oublier du contexte ambiant et ne plus voir que Bacon. Il suffit de découvrir cette étonnante Étude de nu (1952-1953) dont la mini-silhouette vue de dos fait face à une imposante structure en cage pour apprécier son sens de l’espace.
Il suffit de se perdre dans ces nombreux triptyques dont George Dyer est le héros pour mesurer la passion virile et amoureuse que lui portait l’artiste. Une passion qui trouvait écho dans celle qu’il vouait à la peinture.

Questions à... Yves Peyré, directeur de la bibliothèque Sainte-Geneviève, auteur sur Bacon

Comment expliquer le succès de Francis Bacon aujourd’hui ?
Si son succès est aussi grand, c’est que son œuvre porte sur des sujets éternels et classiques. Mais cela tient surtout à trois éléments : une composition elliptique dotée d’un merveilleux mouvement, une force et une violence inouïes même quand il y a de la douceur, enfin l’introduction d’éléments significatifs des temps présents.

Qu’est-ce que la peinture de Bacon a-t-elle d’exemplaire ?
C’est d’être totalement figurative tout en opérant toujours par des raccourcis saisissants. Il suffit notamment de regarder avec attention ses autoportraits pour le mesurer.

Que répliqueriez-vous à quelqu’un qui vous dirait que la peinture de Bacon le met mal à l’aise ?
Je lui dirais qu’il ne sait pas voir. Qu’il ne veut ou ne peut pas accepter ce que sont les pulsions d’un homme liées à sa pensée. Qu’il ne veut ou ne peut pas accepter le corps. Qu’il ne veut ou ne peut pas accepter la pensée du corps.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°607 du 1 novembre 2008, avec le titre suivant : À la Tate Britain, Bacon sauvé par lui-même

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