Art contemporain

Art conceptuel

La poétique d’Helena Almeida

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2016 - 741 mots

PARIS

La rétrospective de l’artiste portugaise rassemble ses œuvres des années 1960 à nos jours dans un parcours qui raconte l’évolution de son travail sur le corps et sa définition dans l’espace.

PARIS - Depuis son invention, la photographie est utilisée pour capturer des performances devant l’objectif. Alors que « Performing for the Camera » à la Tate Modern parcourt leurs différentes relations, du simple enregistrement à l’exploration de l’identité, la rétrospective d’Helena Almeida (née en 1934 à Lisbonne), au Jeu de paume expose  la grande cohérence de l’œuvre de cette figure de l’art conceptuel et de la performance, largement méconnue en France. Jusqu’à présent, son travail a été montré en filigrane par les galeries parisiennes. Son dernier solo show, organisé par la galerie Les filles du Calvaire, remonte au printemps 2011. Le parcours – conçu par Marta Moreira de Almeida et João Ribas du Museu de Arte Contemporânea de Serralves à Porto, coproducteur de l’exposition avec le Centre d’art contemporain Wiels à Bruxelles – offre pour la première fois une vision globale du travail de l’artiste portugaise qui, par deux fois, a représenté son pays à la Biennale de Venise en 1982, puis en 2005.

Les cinquante années de création, appréhendées chronologiquement dans leurs évolutions et transitions, font résonner les préoccupations d’une artiste en prise avec son temps et sa propre liberté acquise « après avoir avalé la peinture », comme elle le rappelle dans l’entretien réalisé pour le catalogue. « J’ai fait tout ce qu’il était possible de faire à la peinture. Ensuite, une fois ma négociation avec la peinture achevée, je me suis sentie libre. À présent, je suis moi et mon œuvre. » Le titre à lui seul donné aux séries « Habiter la peinture », « Habiter la toile » ou « Habiter le dessin » (réalisées au cours des années 1970) situe parfaitement son intention et son positionnement. Ils se perçoivent dès la première salle avec ces tableaux sans titre des années 1967 et 1968, au châssis et à la toile qu’elle se fait un malin plaisir de reconfigurer en fenêtre, mais encore au rideau ou au store à moitié baissé, tiré ou tombant en plis.

Dépasser le plan pictural
Elle situe le point de basculement avec « la rencontre avec Lucio Fontana à la Biennale de la Venise en 1966 ». Elle achève alors ses études de peinture à l’École des beaux-arts de Lisbonne. Dans la veine de toute une génération d’artistes des années 1960 à 1970, Helena Almeida a modifié le rapport au tableau, ses limites physiques et le regard qu’on peut lui porter. Qu’elle s’enroule dans la toile, se colle à elle ou recouvre de peinture bleue et au pinceau le reflet de son visage dans le miroir : elle ne cesse de mettre en scène l’acte de peindre. Sa propre personne incarne, via la photographie ou la vidéo, ses réflexions vis-à-vis de la peinture avant d’« expérimenter des émotions différentes de celle de devoir abandonner la peinture ». Dans l’espace clos de l’atelier vide ou à partir de la feuille de dessin vierge et de fil de crin de cheval, Helena Almeida chorégraphie, exécute et donne à ressentir, en une économie de gestes, des états ludiques ou graves. Elle n’est à aucun moment dans l’autoreprésentation ni dans un discours féministe. Elle-même le précise dans le catalogue.

Peinture, dessin, performance, photographie et vidéo forment, chez elle, avant tout une poétique émancipatrice placée sous le signe de leur alliance à son propre corps, à sa propre image et à ses propres investigations. La bouche suturée ou bâillonnée de Ouve-me (1978) n’est pas sans ramener aux années de dictature qu’a connues le Portugal de 1926 jusqu’à la « révolution des œillets » en avril 1974.
La photographie est pour l’artiste le meilleur moyen de capter ce que son corps et ses gestes expriment en tant que support et sujet à la fois, avec son époux derrière l’appareil photo ou la camera, l’architecte Artur Rosa, son complice de toujours. Le noir qui l’habille à l’orée des années 2000, son visage qui disparaît dans Séduire (2001-2002) ou le fil qui relie une de ses jambes à celle de son mari dans la vidéo sans titre réalisée en 2010, marquent ainsi un autre temps du corps uni à jamais à la personne qui l’habite.

Helena Almeida

Commissaires : João Ribas et Marta Moreira de Almeida, Muse de Arte Contemporâneo de Seralves, Porto.
Nombre de pièces : 54 œuvres

Helena Almeida. Corpus

Jusqu’au 22 mai, Jeu de Paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, mardi 11h-21, mercredi-dimanche 11h-19h, tél. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.fr, entrée 10 €. Catalogue « Helena Almeida, Corpus », 232 p., 39 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : La poétique d’Helena Almeida

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