Archéologie

Antiquité orientale

La Mésopotamie, terre d’inventions

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 6 décembre 2016 - 641 mots

Au Louvre-Lens, 3 000 ans de civilisations mésopotamiennes sont à l’honneur, grâce à un parcours thématique grand public s’adressant aussi aux plus érudits.

LENS (PAS-DE-CALAIS) - « Dans les hautes sphères du monde savant, le sumérologue […] est l’un des spécialistes les plus spécialisés ; il est l’exemple à peu près parfait de “l’homme qui sait tout sur presque rien”. » Les mots de Samuel Noah Kramer accueillent le visiteur du Louvre-Lens de l’exposition « L’histoire commence en Mésopotamie ». Ce titre même est un hommage au travail de l’assyriologue américain et à son ouvrage resté célèbre, L’histoire commence à Sumer (1956).

Cette citation malicieuse met d’entrée le néophyte à l’aise tout en se plaçant sous les auspices d’une pointure scientifique. Elle illustre surtout le double pari de la jeune conservatrice Ariane Thomas pour sa première exposition : plaire au grand public mais aussi s’adresser à un public plus averti, voire scientifique. À ce titre, l’exposition est une réussite, qui replace le Musée du Louvre au centre de l’histoire de l’archéologie orientale, tout en évoquant les guerres en Irak et en Syrie à l’aide de photographies anciennes de sites défigurés depuis.

« C’est une exposition qui fait honneur aux collections du Louvre » pour la commissaire, laquelle évoque une « chance pour la collection » : restaurations, traductions inédites, assemblages nouveaux et reconstitutions ont été réalisés pendant un an et demi, un temps court pour monter une exposition si ambitieuse. Ce travail scientifique ne sautera pas aux yeux des visiteurs qui découvrent pour la première fois ces civilisations antiques, mais la lecture d’une tablette cunéiforme inédite dans le catalogue fera le bonheur des érudits.

Invention sur tous les plans
La langue sumérienne a été en grande partie redécouverte au Louvre au XIXe siècle. En avant-propos, le parcours rend compte du travail des conservateurs et des archéologues du musée défrichant une histoire oubliée, avant de rappeler les mythes et fantasmes occidentaux qui l’entourent grâce à un écran diffusant publicités, films, opéras, peintures, sur fond musical alternant Nabucco de Verdi et Rivers of Babylon de Boney M. « Je voulais montrer que si l’on pense ne rien savoir, c’est en partie faux : l’imagerie sumérienne a inondé nos inconscients », justifie Ariane Thomas.

Ensuite, le parcours aborde ce qui va forger l’identité mésopotamienne et son unité : économie, religions, écritures, rois et dynasties. Ce sont à chaque fois de grandes premières à l’échelle du monde. La première économie de production est illustrée par du matériel archéologique : graines, métaux, céramiques. C’est en Mésopotamie que l’homme invente l’irrigation, pour pallier un climat aride où le manque de pierres précieuses oblige aux échanges extérieurs. Le premier panthéon hiérarchique organise aussi les sociétés. Enki, Enlil, et toutes les divinités de rang mineur sont présentes à Lens. Ebih-Il, mascotte du Louvre, a fait le voyage, statuette d’albâtre présentant un dignitaire sumérien en prière. Pour décrire les premières villes, reconstitutions 3D, maquettes, photographies et quelques vestiges montrent une urbanisation sophistiquée, d’Uruk aux mégalopoles Ninive et Babylone. Manque à l’appel la monumentale Cour Khorsabad du Louvre, évidemment intransportable.

Les premières écritures sont expliquées par un film vidéo réalisé en coproduction avec le CNRS. La commissaire a voulu faire parler le cunéiforme en proposant des hypothèses de diction, l’occasion d’évoquer les zones d’ombre qui subsistent. « La sumérologie est une discipline récente », souligne Ariane Thomas. Les rois et les dynasties, le faste des cours royales sont bien mis en valeur, et un prêt exceptionnel du British Museum (Londres) permet de contempler l’extrême finesse de la vaisselle d’or et des coiffes issues des tombes royales d’Ur.

Au chapitre des redécouvertes, les amateurs apprécieront de voir les rouleaux en papier de Til Barsip réalisés dans les années 1930, seuls témoignages de peinture décorative disparue depuis et presque jamais montrés. Au Louvre-Lens, la « curiosité universelle de l’homme à l’égard de ses origines » se trouve satisfaite.

Mésopotamie

Commissariat : Ariane Thomas, conservatrice au département des Antiquités orientales, Musée du Louvre
Nombre d’œuvres : environ 400

L’histoire commence en Mésopotamie

Jusqu’au 23 janvier 2017, Musée du Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, 62300 Lens, tlj sauf mardi, 10h-18h, tél. 03 21 18 62 62, www.louvrelens.fr, entrée 10 €. Catalogue, coéd. Louvre-Lens/Snoeck Publishers, Gand, 400 p., 39 €

Légende Photo :
Ebih-Il en prière, Tell Hariri (ancienne Mari), temple d'Ishtar, époque sumérienne, vers 2340 avant J.-C. ou époque d’Akkad, vers 2250 avant J.-C., albâtre, coquille, lapis-lazuli, bitume, Musée du Louvre, Paris © Photo : Musée du Louvre, dist. RMN/Raphaël Chipault

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°469 du 9 décembre 2016, avec le titre suivant : La Mésopotamie, terre d’inventions

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