Sculpture

La cage de Giacometti

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2013 - 806 mots

Les figures frêles de Giacometti posent l’énigme de la représentation de l’espace, de la relation de la figure à l’espace et mais aussi celle des figures entre elles.

GRENOBLE - « La sculpture repose sur le vide ». Cette phrase de Giacometti illustre parfaitement la visée de la manifestation organisée par le Musée de Grenoble, en collaboration avec la Fondation Alberto et Annette Giacometti à Paris, évoquée dans son titre : « Alberto Giacometti, Espace, Tête, Figure ». Le mérite de l’exposition, qui évite la tentation d’exhaustivité, celle d’une énième rétrospective du fameux artiste, est de mettre en scène avec subtilité le rapport entre la sculpture et l’espace. Il faut dire que le lieu s’y prête car, dès l’entrée au musée, le visiteur se trouve face à un long couloir d’un blanc immaculé, qui donne le ton pour la suite. Au cœur du projet : une cage. Ou plutôt deux cages. Une que le musée possède depuis 1952, acquise par les soins de Jean Leymarie, conservateur mais surtout historien d’art et ami de Giacometti. L’autre version, très légèrement différente (d’une géométrie un peu plus rigide et sans traces de peinture) est en provenance de la Fondation. Selon Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble, il s’agit d’une œuvre pivot qui montre les liens existant entre la période surréaliste du sculpteur à celle, plus connue du grand public, peuplée par ses personnages filiformes en marche. Certes, on peut objecter que la période surréaliste, qu’on situe habituellement entre 1928 et 1934, est déjà bien éloignée. De même, on connaît la phrase méprisante, adressée par l’artiste en 1947 à Pierre Matisse, qualifiant une partie importante de ses propres œuvres surréalistes d’« objets sans base et sans valeur, à jeter ». Il n’en reste pas moins que ces travaux ne sont certainement pas une simple parenthèse dans le parcours de Giacometti. C’est que, avant de se transformer définitivement en êtres de solitude, ces œuvres expriment avec une violence inouïe les désirs et les craintes des rencontres impossibles. Qui plus est, si les premières créations surréalistes et cubistes avaient suscité l’attention d’Aragon et de Breton, l’artiste intégra ensuite, avec ses figures humaines, la mouvance existentialiste.

Déclinaison d’une sculpture singulière et emblématique
Ainsi, l’exposition s’ouvre sur un chapitre nommé : Avant la Cage et montre deux travaux qui partagent une structure commune avec celle-ci, Boule suspendue (1931) et Le Nez (1947). Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un élément incongru – une boule en équilibre ténu au-dessus d’un objet en forme de croissant, un nez à rallonge qui pointe de façon inquiétante vers le spectateur – placé dans une structure rectangulaire en métal. Cette façon de placer ou plutôt de suspendre la sculpture dans un espace délimité, clos et ouvert à la fois, sera reprise avec La Cage. Isolés et frêles par opposition à l’espace sans limites, les deux personnages y sont des représentations archétypales de la forme humaine, indifférente à tout son entourage, enfermée dans un univers qu’on ne pénètre pas. À partir de là, l’œuvre de Giacometti interroge et étudie une problématique où le vocabulaire plastique et ses nuances déterminent profondément le sens. On peut suivre les choix proposés par les organisateurs (Têtes, Figures debout, Conversations, Échelle et espaces..) ou en inventer d’autres. Ici, dans chaque salle, à l’aide d’un accrochage élégant et aérien, sculptés, peints ou dessinés, les êtres qui marchent droit devant eux, qui restent immobiles ou chavirent, parviennent à évoquer la solitude de l’homme dans un monde où nulle rencontre n’est possible. Refusant toute forme de dialogue comme tout échange des regards, ils s’ignorent définitivement, emprisonnés à l’intérieur des rectangles tracés ou griffonnés par l’artiste. Particulièrement spectaculaire, Le Grand Nu (1961), cette silhouette monumentale, pétrifiée dans son « inachèvement », enfermée dans son autisme, dont les formes semblent se dissoudre et se multiplier à la fois, comme surprises en pleine fusion. Surgissant à travers un enchevêtrement d’innombrables coups de crayon, qui se tiennent miraculeusement, les figures sont comme une apparition laissée en suspens, mais pour toujours. Terminons par l’effort pédagogique qui accompagne l’exposition et permet de suivre les différentes étapes de la création de Giacometti, en entourant les œuvres principales par des esquisses, des plâtres, des maquettes ou encore des photographies. Ainsi, la documentation réunie sur la fabrication et la restauration de La Cage de Grenoble est une occasion de mieux comprendre la complexité de processus sculptural employé par l’artiste suisse. À mentionner plus particulièrement, l’atelier pour les enfants et son inventivité impressionnante.

Giacometti

Commissaires : Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble, Véronique Wiesinger, directrice de la Fondation Giacometti, Paris.
Nombre d’œuvres : 105
Scénographie : Yan Linsart, The Viewer Studio

Alberto Giacometti, Espace, Tête, Figure

Jusqu’au 9 juin, Musée de Grenoble, 5, Place de Lavalette, 38 000 Grenoble, Tél. 04 76 63 44 44, www.museedegrenoble.fr, mardi-vendredi 9h15-12h et 13h30-17h30, les samedis, dimanche et jours fériés 14h-18h

Légende photo

Alberto Giacometti, Le nez, 1947, version de 1949, fonte de 1965, bronze, 80,9 x 70,5 x 40,6 cm, collection Fondation Giacometti. © Succession Giacometti.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : La cage de Giacometti

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