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Design

La biennale de design de Saint-Etienne se met au travail

Retour au concret pour la 10e biennale internationale qui réagit aux mutations dans le monde du travail en 15 expositions « in » et une centaine de manifestations « off »

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2017 - 921 mots

Les mutations dans le monde du travail ont créé la nécessité pour les designers d’insuffler de l’humain, du vivant, de l’écologie et du collectif à leurs projets, tout en se conciliant les nouvelles technologies.

SAINT-ETIENNE - À défaut d’être un long fleuve tranquille, le monde du travail est dans l’air du temps. Pas étonnant si la Biennale de design de Saint-Étienne, qui souffle cette année ses 10 bougies, en a fait sa thématique 2017, sous l’intitulé « Working Promesses/Les mutations du travail. »

Inaugurée le 8 mars et placée sous la houlette d’Olivier Peyricot, commissaire général et directeur du pôle recherche de la Cité du design, cette édition anniversaire se compose d’une quinzaine d’expositions « in » réparties à la Cité du design et dans plusieurs musées stéphanois. S’y ajoutent une centaine de présentations « off » déployées dans Saint-Étienne et quelques villes alentour comme Firminy ou Lyon. Ni allègre ni aisée à illustrer, cette thématique se veut un pied de nez à la précédente édition : « Nous qui, au sein du pôle recherche, exerçons une veille permanente au niveau du territoire stéphanois, nous trouvions que la question de la beauté traitée par la Biennale 2015  était très éloignée des préoccupations et des besoins des entreprises sur le terrain », observe Olivier Peyricot. D’où ce thème plus ancré dans la réalité : « C’est une thématique d’actualité très contemporaine, car il y a aujourd’hui de fortes angoisses et une critique très radicale du travail. Il est donc assez logique d’observer ce que les designers ont à dire à ce sujet et ce qu’ils peuvent apporter comme solutions. »

Des labos communautaires
Futuristes ou à portée de main, loufoques ou plausibles, ces solutions sont légion. À commencer par cette multitude de nouveaux lieux de travail aux noms barbares – « Makerspace », « fablab », « Tech-Shop », « Bio-Hackerspace »… –, des laboratoires communautaires et ouverts dans lesquels des compétences variées s’agrègent au gré des projets. Les « tiers-lieux » en sont aussi des parangons et une exposition en fait l’éloge, témoignant des expériences menées en dix mois par Yoann Duriaux, cofondateur du tiers-lieu « Open Factory », à Saint-Étienne, avec le collectif de designers RDC. « Les tiers-lieux sont des espaces où l’on œuvre à un changement de civilisation, estime Yoann Duriaux. Ce sont des fabriques de services pour aller vers des modes de vie plus écologiques et durables. » Exemple : L’Atelier paysan, flotte de cinq camions, sillonne l’Hexagone et fédère des agriculteurs pour concevoir en groupe et sur mesure des machines et bâtiments adaptés aux pratiques de l’agro-écologie.

Ailleurs, l’exposition « Cut & Care » met en scène le « travailleur horizontal », cet individu qui, entre progrès des nouvelles technologies et étirement des horaires de travail, œuvre indifféremment au bureau ou à la maison. Une panoplie de meubles et accessoires permet de rendre plus confortable cette situation nouvelle, à l’instar de la coque en feutre Tomoko de Wasabi/Salonen/Abe qui, façon casque de coiffeuse, permet de se couper physiquement de l’environnement immédiat.

La réflexion peut, certes, dévier – c’est là la moindre des libertés d’une Biennale –, mais elle laisse parfois le visiteur déboussolé. Ainsi dans ces deux expositions un brin ésotériques : « Player Piano » de Joseph Grima, « atlas subjectif du paysage du travail », ou « Extravaillance/Working Dead » du trio Alain Damasio/Norbert Merjagnan/Didier Faustino, soit cinq « mises en abyme d’espaces de travail » oscillant entre fictions sonores et discours ultralibéraux.

Certaines présentations, néanmoins, en reviennent au concret. « Design Matrice » expose ainsi le travail de l’agence BP Design, conseil de nombreuses entreprises de pointe, parmi lesquelles la firme Clextral, spécialiste des machines d’extrusion, qui, aujourd’hui, réfléchit à la production d’aliments du futur extrudés.

Le travail numérique
Dans un volet intitulé « Digital Labor » [Travail numérique], l’humain tente de pénétrer l’anonyme galaxie numérique. Ici, les touches d’un piano connecté à l’encyclopédie Wikipédia – section francophone – s’activent à chaque fois qu’un internaute consulte ledit site. Joué en temps réel, le flot de notes est quasi ininterrompu. Là, dans une vidéo, l’artiste Jennifer Lyn Morone décrit son nouveau modèle économique : elle a décidé de ne plus laisser circuler gratuitement ses données personnelles sur le Net, mais de les facturer aux moteurs de recherche qui en useraient. À l’inverse de l’image idyllique des start-up, il existe un « prolétariat du Web ». Sur le modèle du film La Sortie de l’usine Lumière à Lyon (1895), Andrew Norman Wilson montre, dans la vidéo Workers Leaving the Googleplex (2009-2011), les « petites mains » de la firme Google sortant des bureaux, ces « travailleurs invisibles » qui ont pour tâche de scanner quantité de documents.

Avec « La fin du travail », la Biennale explore « d’autres formes d’activités basées sur la révision des systèmes de production ». Mais les propositions se révèlent peu convaincantes. D’un côté, l’Éden : Kelly Magleby réalise des poteries selon un mode ancestral, dans la quiétude d’un paysage vierge de l’Utah (États-Unis), « resynchronisant son activité avec les cycles biologiques adaptés à son métabolisme ». De l’autre, l’enfer : Shenzhen (Chine), la ville aux ressources technologiques et aux capacités productives gigantesques, où n’importe quel objet peut être édité en série en moins d’une semaine. « Parfois, on ne peut questionner la technologie qu’en l’expérimentant tous azimuts, alors poussons les curseurs à fond et regardons ce qui se passe, quitte à revenir en arrière ensuite », estime Peyricot.

Saint-Étienne le rappelle, dans le monde du travail de demain, l’humain doit être replacé au centre.

BIENNALE INTERNATIONALE DESIGN SAINT-ÉTIENNE 2017

Jusqu’au 9 avril, Cité du design, 3, rue Javelin-Pagnon, 42000 Saint-Étienne ; programme complet sur le site www.biennale-design.com

Légende Photo

L'exposition « Panorama des mutataions du travail - la fin du travail », avec les objets en résine polyester et gel-coat de Serge Lhermite. © Photo : P. Grasset.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°476 du 31 mars 2017, avec le titre suivant : La biennale de design de Saint-Etienne se met au travail

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