Photographie

PHOTOGRAPHIE / VISITE GUIDÉE

Karen Knorr enchante le centre d’art de la Matmut

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2025 - 704 mots

Les animaux de ses « Fables » questionnent sur un mode ludique les représentations du pouvoir et autres conventions culturelles occidentales.

Saint-Pierre-de-Varengeville (Seine-Maritime). Un combat de cerfs dans la salle du roi du château de Chambord, un couple de flamants roses flânant dans la galerie des Batailles du Musée Condé à Chantilly [voir ill.], un guépard alangui face à une grue à tête rouge dans la cour d’un palais en Inde : les photographies de Karen Knorr évoquent des fables. La photographe américaine, née en Allemagne en 1954, formée aux États-Unis, à Paris et à Londres, est une fabuliste renommée pour ses mises en scène d’animaux dans des intérieurs patrimoniaux luxueux, quintessences d’une histoire politique, économique, sociale et artistique.

Depuis ses premiers portraits de la grande bourgeoisie anglaise au début des années 1980, Karen Knorr pose un regard critique sur les conventions sociales de la haute société. Au noir et blanc des débuts et à la figure humaine, se sont substitués à la fin de cette même décennie la photographie couleur grand format et des animaux naturalisés ou vivants, figures métaphoriques de scènes jouées dans des décors cristallisant ordre social et fiction de vie. La photographe a toujours pris soin de combiner dans ses œuvres divers niveaux d’interprétation possibles afin de ne pas influencer de manière univoque le spectateur dans sa lecture de l’image. Dans le même esprit, Knorr a souhaité que ses images ne soient pas accompagnées de cartels pour l’exposition que lui consacre le centre d’art contemporain de la Matmut, ce qui n’a pas été sans poser de questions à Sophie Lemaire, responsable du pôle culturel, et à Élise Mariage chargée des expositions. Car l’absence de cartels est une première pour ce centre d’art ouvert depuis fin 2011 qui a fait de l’accès à l’art sa raison d’être. « Tout est fait dans la programmation pour lever les freins à l’accès à la culture d’un public essentiellement régional, familial et scolaire : la gratuité du lieu et du programme de visites et d’ateliers pour les enfants et les familles, la distribution gratuite du journal de l’exposition et l’édition d’un catalogue à 20 euros », rappelle Élise Mariage. La programmation elle-même est pensée depuis quelques années pour susciter l’intérêt et la curiosité de tous. Si la situation du centre d’art, à 17 km de Rouen, constitue un frein à l’expansion de sa fréquentation, celle-ci est en hausse : plus de 30 000 visiteurs en 2024 contre 25 000 en 2022.

Vingt ans de création

Pas de cartel donc pour l’immense girafe assise qui accueille le visiteur, sereine dans un des salons du château de Chantilly, le regard tourné vers un choucador superbe, œuvre issue de la série « Fables » (2003-2022), non plus que pour l’ensemble des photographies sélectionnées par l’artiste en collaboration avec le centre d’art et la galerie parisienne Les Filles du calvaire, prêteuse des œuvres. « Il s’agit de privilégier la découverte du travail par le merveilleux des images », souligne Élise Mariage, un merveilleux qui retient effectivement le regard. Toutes les informations nécessaires sont mises à disposition à l’entrée du centre d’art. Outre le journal de l’exposition, réalisé systématiquement lors d’une exposition personnelle, la fiche technique des œuvres est disponible tandis que la salle dévolue aux projections vidéo a été transformée en salle de lecture des livres publiés sur l’œuvre de Knorr.

L’exposition réunit les séries emblématiques de l’artiste produites depuis plus de vingt ans, jusqu’à « Scavi », entamée au début de 2023 dans des sites de la baie de Naples dont Pompéi. Néanmoins, la scénographie n’est pas toujours optimale. Ainsi, l’entrecroisement, dans la grande salle du rez-de-chaussée, d’œuvres de la série « India Song » (2010-2023) réalisée dans les intérieurs somptueux des palais du Rajasthan avec celles de « The Lanesborough » (2015) – mises en scène d’animaux dans le grand hôtel de Londres –, fonctionne moins bien visuellement que celui proposé avec des images de « Scavi », de mêmes tonalités chaudes qu’« India Song ».

Autre réserve, concernant les extraits des contes pour enfant écrits par Karen Knorr (publiés dans le catalogue en coédition avec Filigranes), extraits juxtaposés à chaque série exposée. Ces textes sont bien trop courts et ne créent pas un récit en soi. L’alignement des tirages grand format paraît enfin trop convenu, surtout par rapport au contenu enchanteur des images.

Karen Knorr. Fables et autres contes,
jusqu’au 1er juin 2026, Centre d’art contemporain de la Matmut-Daniel Havis, 425, rue du Château, 76480 Saint-Pierre-de-Varengeville.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°651 du 14 mars 2025, avec le titre suivant : Karen Knorr enchante le centre d’art de la Matmut

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