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ANTIQUITÉ-XXIE SIÈCLE

Jolie brise au MuMa

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 9 août 2022 - 658 mots

LE HAVRE

Pline l’Ancien définissait le vent comme « cela qui ne peut être peint ». Le musée du Havre a convoqué une centaine d’artistes qui démontrent le contraire.

Le Havre (Seine-Maritime). Comment peut-on représenter le vent ? Annette Haudiquet, directrice du MuMa (Musée d’art moderne André-Malraux), s’est posé la question, elle dont le musée, largement ouvert sur la mer, reçoit risées et tempêtes au fil des saisons. Avec la photographe Jacqueline Salmon et le critique d’art Jean-Christian Fleury, elle interroge l’art occidental, depuis l’Antiquité jusqu’aux plasticiens contemporains, sur cet ébouriffant et vaste sujet décliné en 170 images et objets. La première œuvre, sur le parvis du musée, est due à la nature et au service des espaces verts de la Ville : ce parterre de graminées ondule au moindre souffle, renvoyant à la délicate petite estampe de Jacques Callot, Les Roseaux et le vent (vers 1646), qui, dans le parcours, voisine avec la sculpture Hautes herbes agitées par le vent (1983) de Gloria Friedmann. Car l’exposition, globalement chronologique, regroupe aussi les œuvres par affinités thématiques. Les commissaires ont volontiers joué de ces rapprochements. Ainsi, raconte Jacqueline Salmon, « nous ne pouvions pas espérer obtenir “La Naissance de Vénus” de Botticelli et nous avons trouvé, au Musée national d’art moderne, “Vénus anadyomène d’après Botticelli” [v. 1945] de Raoul Dufy qui est un véritable cadeau du ciel ». Le peintre du XXe siècle, comme celui de la Renaissance, a représenté les vents fort et doux sous la forme humaine de Zéphyr et d’Aura. Le tableau succède, dans le parcours, à une céramique grecque, Œnochoé représentant l’enlèvement d’Orithye par Borée (vers 360 avant notre ère) et à la sensuelle Flore caressée par Zéphyr (1802) de François Gérard dont le corps nu donne naissance aux fleurs.

Les effets du vent

Dès Léonard, qui l’a précisé dans ses écrits, il est apparu qu’en art la représentation des vents pouvait passer, plutôt que par leur personnification, par leurs effets. Le parcours mène donc des brises aux tempêtes, sur mer mais aussi sur terre, comme dans le grand tableau d’Émile Breton, Un ouragan (1863). Dans le fond de la toile, deux moulins rappellent cependant que le vent peut être un allié de l’humanité. Encore romantique, son tableau fait écho aux admirables lavis de Hugo (Arbre couché par le vent, vers 1866). Au XIXe siècle, le vent n’est quasiment jamais peint avec un visage humain mais on lui prête des intentions : il est ce fripon qui soulève les jupes dans les caricatures de Jean-Baptiste Isabey (Le Coup de vent, 1818) et d’Honoré Daumier. Dans un parcours très riche en œuvres sur papier, on est ému par Trottin sous la pluie (1898) de Théophile Alexandre Steinlen, petite coursière livrant son carton sous une averse oblique.

L’estampe japonaise, dont se sont inspirés Steinlen et Félix Vallotton (Le Vent, 1910) a donné nombre de scènes d’une vie quotidienne perturbée par le vent. Parmi celles-ci, Le Coup de vent dans les rizières d’Ejiri dans la province de Suruga (vers 1831-1834) par Hokusaï a été transposée en photographie par le Canadien Jeff Wall dans A Sudden Gust of Wind (1993), puis éditée multiple par TBW Books sous la forme de 98 feuilles libres devant être accrochées de manière à se soulever au courant d’air [voir ill.]. C’est aussi cette version intime du phénomène météorologique qui a inspiré Philippe Favier pour ses émaux Les Vents (1986), montrant des tissus colorés qui s’envolent dans des appartements. Une poésie que l’on retrouve dans d’autres verres – le vase Comme la plume au vent (1903) de Daum Frères ou la Coupe « aux épis de blé » (1903) d’Émile Gallé – et dans des objets techniques, Modèle d’aérostat (v. 1889) ou Maquette d’étude en soufflerie… (v. 1991-1998) de Renzo Piano. Et aussi chez nos contemporains : Nuages, Cartes des vents (2022) de Jacqueline Salmon, le diptyque Massif, nuée (2020) de Jean-Baptiste Née et le film Mercredi 4 novembre (2011) de Caroline Duchatelet nous mènent dans le vent et les merveilleux nuages.

Le vent. Cela qui ne peut être peint,
jusqu’au 2 octobre, Musée d’art moderne André-Malraux (MuMa), 2, bd Clemenceau, 76600 Le Havre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Jolie brise au MuMa

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