Hamish Fulton à pieds d'oeuvre

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 19 novembre 2013 - 1062 mots

L’exposition « En marchant – Hamish Fulton », au Crac Languedoc-Roussillon à Sète, est une belle occasion pour décrypter le travail pour le moins original de cet artiste-marcheur britannique.

1 - QUI EST HAMISH FULTON ?
Né en 1946 à Londres et passé par les bancs de la célèbre Saint Martin’s School of Art de la capitale anglaise, l’artiste a, depuis une quarantaine d’années, développé une démarche pour le moins singulière : il parcourt le monde à pied. Y compris ses plus hauts sommets, comme en 2009, où il franchit… l’Everest. Hamish Fulton est un walking artist ou « artiste-marcheur ». Sa méthode : « No walk, no art ». En clair : sans déambulation pédestre, il ne peut y avoir production d’œuvre. D’où des centaines de marches et des milliers de kilomètres parcourus, aux États-Unis, au Népal, au Canada, au Royaume-Uni ou… sur le Mont-Blanc. Dans un premier temps donc, la marche. Puis, une fois de retour dans son atelier, à Canterbury dans le Kent, la « matérialisation » de cette marche, qui peut prendre des formes diverses : dessins, gouaches, petites sculptures ou peintures murales de grand format, enfin « photos-textes » construits à partir de clichés qu’il prend durant sa randonnée – seule exception à cette règle de la non-production pendant la marche – et qu’il enrichit, ensuite, de mots et/ou phrases subtilement ciselés.

2 - LA MARCHE EN SOLO
Contrairement aux artistes du Land Art, Hamish Fulton ne produit rien dans ou avec la nature : « La marche est une expérience, pas un matériel », dit-il, se contentant alors de noircir les pages de son carnet de notes de mots choisis et autres diagrammes. Fulton ne se veut ni randonneur, ni alpiniste, mais obstinément « artiste-marcheur » et la marche est pour lui une pratique physique qui engage le corps tout entier. Lors de son périple intitulé Le Flux de l’eau, réalisé en 2002, Fulton parcourt 2 838 km en deux mois, reliant Bilbao à Rotterdam en passant par l’Espagne, la France, la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas. Parfois, il effectue ses pérégrinations en autonomie totale comme, en juin 2011, dans le Parc national du Mercantour, l’un des plus sauvages de l’Hexagone. Il lui arrive aussi de ne rencontrer aucun être humain, comme lors de cette marche dans le Montana (États-Unis) où il déambula en solitaire pendant deux semaines d’affilée. La pièce qu’il réalise ensuite s’intitule ironiquement Ne pas parler pendant 14 jours. La marche, on l’aura compris, est aussi un voyage intérieur.

3 - LA MARCHE EN GROUPE
Sa première marche en groupe date du 2 février 1967. Hamish Fulton l’a réalisée à Londres avec des étudiants de la Saint Martin’s School of Art, dont son collègue et ami Richard Long. Mais ce n’est qu’en 1994, après une marche faite au Japon avec des étudiants en art que Fulton développera concrètement les déambulations à plusieurs, comme une véritable « corde » artistique. De fait, celles-ci peuvent avoir une dimension fortement performative et s’adaptent à tous les terrains. Qu’ils soient en pleine nature, tel ce slow walk [« Marche au ralenti »] du 21 septembre, à Bad Kleinkirchheim dans les montagnes de Carinthie (Autriche), suivi par cent cinquante personnes. Ou carrément urbains, comme cette marche organisée, le 26 octobre, dans le jardin des Plantes, à Paris, dans le cadre du programme « hors les murs » de la Fiac. Ces marches de groupe peuvent aussi avoir une dimension franchement politique, tel ce slow walk d’avril 2011 déployé dans le Turbine Hall de la Tate Modern, à Londres, en soutien à l’artiste chinois Ai Weiwei, alors emprisonné dans son pays.

4 - DE LA MARCHE AU MARCHE
Un walk ne se collectionne pas, évidemment, si ce n’est son souvenir pour ceux qui ont la chance de participer à une marche en groupe. En revanche, les pièces que Hamish Fulton crée postérieurement à ses déambulations, oui. « Que l’on soit collectionneur privé ou institution muséale, l’idée est d’acquérir des œuvres qui sont comme des morceaux de carnet de voyage », observe Romain Torri, patron de la galerie éponyme, à Paris, qui le représente en France : une gouache ou une sculpture, un document encadré attestant de l’expérience que l’artiste a vécue – telle l’autorisation officielle de parcourir librement et de bivouaquer dans un parc naturel protégé – ou des photos-textes. On peut également acheter une peinture murale qui s’adaptera au lieu l’accueillant grâce à un « certificat d’authenticité », lequel précise les dimensions de l’œuvre et les coloris adaptés. L’an passé, le Centre national d’art contemporain a fait entrer dans la collection du Fnac une peinture murale intitulée Google/Palden/Gyatso, du nom de ce moine figure de proue de la résistance tibétaine contre les Chinois. Prix : « 35 000 euros », indique Romain Torri. « Hamish Fulton fait partie d’une génération d’artistes aujourd’hui historique et pourtant il est toujours resté en dehors de la spéculation », estime le galeriste. Le ticket d’entrée se situe autour de 4 000 euros pour un texte, 5 000 pour une petite sculpture de bois et 12 000 pour un photo-texte de moyen format. Le photo-texte « classique », format 120 x 140 cm, coûte 35 000 euros. Un wall painting, ou « peinture murale », peut aller jusqu’à 50 000 euros.

5 - A SETE, COMMENT EXPOSER LA MARCHE ?
Une marche ne s’expose pas, évidemment. En revanche, depuis quarante ans, Hamish Fulton a trouvé mille et un médiums pour la retranscrire. Au Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon, à Sète, on peut en voir une séduisante démonstration dans l’exposition « En marchant —Hamish Fulton » qui évoque, en particulier, sa marche de l’été 2012, trois semaines de traversée des Pyrénées d’ouest en est, de Hendaye à Llançà, en suivant peu ou prou le GR 11 espagnol. Des « photos-textes » en noir et blanc montrent les chemins qu’il a parcourus (Footpath) ou l’énorme rocher qui, un jour, lui boucha l’horizon (Boulder). Toujours tirée de cette même marche, l’œuvre la plus impressionnante est à n’en point douter cette gigantesque peinture murale qui ouvre l’exposition : 21,3 m de long sur 5,46 m de haut. Effet garanti. Hamish Fulton a su profiter de la colossale hauteur sous plafond du lieu pour dérouler des formats qu’il n’avait jusqu’alors jamais atteints. C’est d’ailleurs, ici, le cas pour une douzaine d’autres wall paintings, ce qui donne indubitablement à son travail une incroyable ampleur.

« En marchant – Hamish Fulton »,

jusqu’au 2 février 2014. Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon à Sète (34). Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 12 h 30 à 19 h et le samedi et dimanche de 15 h à 20 h. Entrée libre.
Commissaires : Noëlle Tissier, directrice du Crac, et Muriel Enjalran, commissaire invitée. crac.languedocroussillon.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°663 du 1 décembre 2013, avec le titre suivant : Hamish Fulton à pieds d'oeuvre

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