Art contemporain

Guston le ténébreux

Par Renaud Faroux · L'ŒIL

Le 1 mai 2003 - 690 mots

Michaël Auping, spécialiste de l’expressionnisme abstrait américain, organise une rétrospective de près de cent quarante tableaux et dessins de Philip Guston (1913-1980). L’exposition actuellement à Fort Worth (Texas) sera ensuite présentée à San Francisco, à New York puis à la Royal Academy de Londres en janvier 2004.

Philip Guston est un des rares artistes américains qui de l’abstraction retourne à la figuration sans contradictions apparentes et états d’âme avoués. L’exposition démarre avec les toiles des années 1930 marquées par l’influence de De Chirico et de Picasso. Dans Martial Memory, des enfants sont rassemblés dans une drôle de scène de bataille. Compressés dans un espace clos, des petits garçons coiffés de casques en sacs de papier, bardés de boucliers en couvercle de poubelle brandissent des sabres de bois. Les figures sont aplaties sur des surfaces qui se chevauchent ; l’ambiance guerrière dans une architecture fantomatique et théâtrale suggère un raccourci éloquent et original entre la virtuosité de Paolo Uccello etla violence de Max Beckmann.

Né à Montréal, Guston a été élevé à Los Angeles. Il y fréquente la Manual Arts High School où il rencontre Pollock. Très marqués par les muralistes mexicains, ils feront partie du WPA (Works Progress Administration), un vaste projet lancé par Roosevelt, qui eut un rôle vital dans le développement de l’art américain en permettant de payer les artistes en formation. Comme Davies, De Kooning, Gorky, Baziotes, Rothko, Pollock, Guston va peindre des fresques patriotiques dans les institutions publiques des États-Unis.

Dans les années 1950, il est à New York, fréquemment attablé à la Cedar Street Tavern où les discussions sont vives avec Pollock, Kline et De Kooning. À la différence de leur peinture gestuelle agressivement expressionniste, Guston, dans ses Red Paintings qui sont au cœur de l’exposition, corrige ses motifs aléatoires par des coups de brosse horizontaux et verticaux. L’enchevêtrement de petites touches rend compte d’une vision personnelle, intimiste et en quelque sorte maîtrisée de l’Action Painting. Au centre d’un fond uniforme et fluide, des bâtonnets de couleur chair créent des effets d’atmosphère et de lumière. La facture « incandescente » de ses toiles, faites de frémissements délicats, a valu à son travail le qualificatif d’impressionnisme abstrait.   

À la fin des années 1960, Guston revient à des formes semi-figuratives à la matière riche : des têtes, un livre, une ampoule, des chaussures, une cigarette s’imposent en gros plan sur la toile. Objets et silhouettes abandonnent le modelé vaporeux pour se figer dans d’inquiétants espaces obscurs.

Ici dialoguent des personnages dissimulés sous d’étranges cagoules. Ils sont l’incarnation symbolique de l’homme de la rue transformé par son inaction durant la guerre du Viêtnam en bourreau du Ku Klux Klan ou de l’Inquisition. À cette époque, Guston manifeste contre l’administration Nixon et Kissinger par des dessins virulents. Le président est caricaturé : un gros nez et des bajoues le réduisent à un phallus ; Kissinger n’est plus qu’une paire de grosses lunettes surmontées de sourcils hirsutes. On est bien loin des délicats raffinements anciens. Ce retour à la figuration avec un dessin qui se rapproche de la B. D. et l’engagement dans une gestualité rude aura un très fort impact sur des générations d’artistes de Peter Saul à Basquiat. Guston a redonné un droit de cité à la figuration après des décennies où l’abstraction dominait la peinture américaine.
À la fin de l’exposition, après de très vastes compositions à la gestuelle « mal léchée », comme Ancient Wall, Couple in bed et The Street, se découvre une série de petits formats d’où se dégage, dans des rêveries sombres et fugitives, toute la mélancolie de cet immense artiste qui aimait à dire avec une ironie désabusée que pour lui « la peinture est un agrégat d’impuretés ».

Rétrospective Philip Guston - FORT WORTH, Modern Art Museum, 1309 Montgomery St, tél. 817 738 9215, 30 mars-8 juin - SAN FRANCISCO, Museum of Modern Art, 151 Third St, tél. 415 357 4000, 28 juin-27 septembre - NEW YORK, Metropolitan Museum of Art, Fifth Av at 82 St, tél. 212 777 1089, 27 octobre-4 janvier 2004 - LONDRES, Royal Academy of Arts Gallery, Burlington House, Piccadilly, tél. 020 7300 8000, 24 janvier-12 avril 2004

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°547 du 1 mai 2003, avec le titre suivant : Guston le ténébreux

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