Belgique - Art contemporain

VIDÉO / VISITE GUIDÉE

À Gaasbeek, David Claerbout se glisse dans le dédale du temps

Par Gilles Bechet, correspondant en Belgique · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2025 - 631 mots

Dans le cadre historique du château néo-Renaissance, les vidéos de l’artiste belge prennent une dimension méditative.

Lennik (Belgique). Au cœur du Pajottenland, à proximité de Bruxelles, le château de Gaasbeek accueille une exposition de David Claerbout (né en 1969), un des vidéastes et photographes belges majeurs. Ses œuvres d’une grande rigueur formelle s’intéressent à l’écoulement et à la perception du temps et du mouvement.

Si les origines du château remontent à une forteresse militaire du XIIIe siècle, l’édifice tel qu’il se présente aujourd’hui est l’aboutissement de l’importante restauration menée à la fin du XIXe siècle par l’architecte décorateur Charle-Albert à l’initiative de la marquise Arconati-Visconti. Passionnée d’art, de littérature et d’histoire, la châtelaine rêvait d’une« rénovation archaïsante » dans l’esprit de Viollet-le-Duc et d’une Renaissance fantasmée. Elle s’est fait construire une forteresse de conte de fées, un écrin pour son impressionnante collection d’œuvres d’art où elle pouvait accueillir ses visiteurs issus de l’intelligentsia littéraire et politique parisienne dans une succession de pièces magnifiant un passé idéal.

Claerbout à la hauteur du lieu

En traversant salles et couloirs restaurés dans tous leurs détails raffinés, le visiteur s’étonne presque de ne pas croiser le fantôme de Marie Arconati-Visconti vêtue de l’habit de page dans lequel elle aimait paraître. L’intégration des œuvres de Claerbout aux somptueux décors est idoine.

Les images de Long Goodbye (2007) (voir ill.), projetées sur un tulle suspendu dans la cuisine, se dédoublent sur les poêlons en cuivre accrochés au mur. Dans un lent et long zoom arrière, une femme sert un thé sur une terrasse ensoleillée d’une maison de campagne et fait ses adieux à un invité invisible qui s’éloigne avec la tombée de la nuit.

Dans une petite pièce sous l’escalier, Piano Player (2002), son premier film qu’il n’a jamais pu montrer dans de bonnes conditions, invite le visiteur à suivre une femme qui traverse une ville de province par une nuit de fortes averses pour entrer dans une maison déserte où un jeune homme joue au piano une mélodie cristalline qui semble effacer le monde extérieur. Par un subtil travail du son, le piano est entendu d’abord, puis seulement l’orchestre qui l’accompagne, audible à la sortie de la pièce.

Avec Claerbout, les apparences sont souvent trompeuses comme dans Breathing Bird (2012), une double vidéo petit format, accrochée au mur de briques de l’escalier Charles Quint. Deux oiseaux se font face de part et d’autre d’une vitre. Dans un premier temps, l’image semble fixe, jusqu’à ce que la buée de la respiration et les imperceptibles mouvements des oiseaux prennent forme.

The Woodcarver and the Forest (2025) est l’œuvre inédite qui attend le visiteur dans une grande pièce sous les combles. Avec des gestes précis, un jeune homme en chemise à carreaux sculpte des cuillères en bois devant la large baie vitrée d’une maison moderniste nichée au cœur d’une forêt de pins élancés. Chaque ustensile est ensuite suspendu parmi d’autres qui produisent d’apaisants tintements. L’apparente simplicité et banalité de ce geste répétitif et amoureux dans un environnement lumineux contraste, de l’autre côté de la vitre, avec la masse impénétrable de la forêt qui donne sa chair ligneuse pour créer des objets à l’utilité aussi futile qu’essentielle. Par moments, la caméra s’aventure entre les épineux, et le silence de l’atelier fait alors place à la symphonie du chant des oiseaux et la forêt qui, de loin, paraissait si sombre devient lumineuse. Avant de gagner la sortie, le parcours se poursuit par un couloir desservant les pièces de vie des occupants du château, meublées dans un style XIXe. Sur la porte d’une chambre à coucher apparaît Engeltje (1997), une image en noir et blanc représentant la sculpture funéraire d’un jeune ange. Le trouble s’installe lorsqu’il devient possible de distinguer la fleur qu’il tient à la main, bougeant doucement, soufflée par une brise invisible.

David Claerbout, At the window,
jusqu’au 16 novembre, château de Gaasbeek, Belgique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : À Gaasbeek, David Claerbout se glisse dans le dédale du temps

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