Mécénat

François Ier a-t-il été un vrai roi mécène ?

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 23 juin 2015 - 1653 mots

CHANTILLY

Le fils de Louise de Savoie a, le premier dans l’histoire de France, fait incarner sa royauté par les arts : architecture, peinture, etc. Un mécénat éclairé qui lui permit, aussi, de servir son propre rayonnement.

La commémoration du 500e anniversaire de l’avènement de François Ier bat son plein, pour le meilleur comme pour le pire. Difficile, face à la masse d’événements et de sites labellisés, de distinguer ce qui dépend concrètement de l’action du monarque. Alors que des historiens relativisent sa grandeur politique, on pourrait se demander si son titre de roi mécène n’est finalement pas également usurpé. Forgée de son vivant, cette image a ensuite alimenté le roman national et inspiré les artistes. Au XIXe, les peintres ont notamment glorifié la relation fusionnelle entre le souverain et Léonard de Vinci. Bien qu’elle relève du pur fantasme, elle a participé à le poser en prince mécène par excellence, occultant tous les autres.

Une ambition culturelle pour la France
Indiscutablement, le roi cherche à incarner la notion de gouvernement par les arts, un programme imaginé par sa mère, Louise de Savoie. Une figure mal connue mais décisive, dont la devise « Pour mes livres et mes enfants » ne laisse pas de doute sur les penchants artistiques. Mécène accomplie, elle lui procure une éducation humaniste et culturelle. « Ce n’était pas quelque chose d’exceptionnel à l’époque, simplement, elle en a fait un programme complet », souligne Thierry Crépin-Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance – château d’Écouen. « C’est la première fois qu’un roi de France se présente comme le père des lettres et des arts, remarque le conservateur. Cette image est construite, mais c’est aussi une réalité. L’erreur est d’avoir voulu à toute force en faire un cas unique. » Son idéal était de fait une vertu mieux partagée qu’on ne le dit d’ordinaire ; pour tout souverain, gouverner allait de pair avec une action culturelle. Lui l’a cependant développée avec un certain systématisme. De plus, François Ier a bénéficié d’un très long règne (trente-deux ans) ce qui explique, en partie, la quantité de projets qu’il a pu concrétiser. « Dès son avènement, il a souhaité donner cette orientation. On dirait aujourd’hui qu’il a voulu asseoir son pouvoir par une politique culturelle », résume Élisabeth Latrémolière, directrice du château royal et des musées de Blois. « Il a compris que la puissance du royaume passait par les arts et lettres, qu’ils pouvaient servir son rayonnement personnel et donc celui de la France. » Au fil des ans, alors qu’il accuse de cuisantes défaites militaires et politiques, l’art apparaît de plus en plus comme un sauf-conduit. Humilié après la défaite de Pavie, puis sa captivité en Espagne, le roi tente de sauver son règne par un mécénat fastueux. Le château de Chantilly, qui abrite la seconde collection d’ouvrages ayant appartenu à François Ier développera d’ailleurs ce postulat dans sa prochaine manifestation. « Il a été le premier à s’emparer à ce point de la culture et il a investi ce champ pour travestir ses défaites en victoires », explique Olivier Bosc, conservateur en chef de la bibliothèque et des archives du château de Chantilly.

Un bâtisseur royal
Ce désir de magnificence se manifeste en premier lieu dans la pierre. Pas moins d’une quinzaine de chantiers de construction ou de rénovation qui sont lancés sous son règne. « Sur la distribution des châteaux, le roi n’innove en rien. Par contre sur le décor, il introduit des références au vocabulaire de la Renaissance », synthétise Alain Salamagne, professeur d’histoire de l’art et membre du Centre d’études supérieures de la Renaissance. « Parallèlement, la richesse de l’emblématique s’accentue. La multiplication des devises, salamandres et F couronné, est une manière de marquer symboliquement l’architecture. » Face à cet appétit, certains historiens ont même pensé que François Ier avait eu une implication directe dans la conception des châteaux et des décors. « C’est une vue de l’esprit, il n’avait pas les compétences pour véritablement infléchir les projets, tempère l’historien. D’ailleurs, François Ier n’a pas été un bâtisseur extraordinaire dans le paysage européen, Henri VIII en Angleterre et Charles Quint ont également été de grands constructeurs. » Il est cependant ardu de mesurer l’héritage de Charles Quint dont plusieurs châteaux ont été détruits et dont les collections qu’ils abritaient ont disparu. Pour rivaliser avec ses homologues, François Ier fait ériger un chapelet de bâtiments majestueux et originaux. À peine monté sur le trône, il construit une nouvelle aile au château de Blois. « C’est son premier chantier, il veut tout de suite rompre avec ses prédécesseurs. Sur un fort substrat gothique, il plaque un vocabulaire décoratif très marqué par l’Italie, avance Élisabeth Latrémolière. C’est volontairement expressionniste, car il s’agit de montrer sa nouveauté et sa richesse. » Vient ensuite Chambord où il bâtit un véritable monument à la gloire de la France qui évoque une cité idéale : un plan inédit en croix grecque occupé en son centre par un spectaculaire escalier à double révolution. Enfin, en Île-de-France il est à l’origine de sites exceptionnels comme Villers-Cotterêts ; sans doute le plus beau décor sculpté conservé de la Renaissance, hélas guère valorisé.

Fontainebleau nouvelle Rome
Mais le projet qui reste le plus attaché à sa personne est clairement Fontainebleau, tant pour son décor que son ambition artistique : en faire une nouvelle Rome. Il invite les meilleurs créateurs à sa cour, quelques-uns déclineront son offre comme Michel-Ange. Mais il réussit tout de même à attirer Della Robbia, Cellini, mais aussi contrairement à une idée reçue des Nordiques, dont Joos van Cleve. Dans la Péninsule, il dispose d’actifs conseillers artistiques. Della Palla lui procure des antiques, tandis que l’Arétin fait office d’ambassadeur de luxe auprès des artistes. C’est notamment à lui que l’on doit l’envoi du fameux portrait du roi par Titien. Il sera également l’intermédiaire qui fera franchir les Alpes à Rosso. Le Florentin, rejoint ensuite par Primatice, hissera Fontainebleau au rang de brillant foyer artistique. Ils créeront entre autres la galerie François Ier, inventant un modèle. Mêlant fresques, stucs et boiseries, elle inaugure le maniérisme à la française qui rayonnera à travers l’Europe. Grâce à la gravure qui connaît un véritable boom, mais aussi à la manufacture de tapisserie de Fontainebleau instituée par le monarque. « On évoque souvent les peintres, mais ce renouveau est bien plus large. François Ier installe et finance aussi des céramistes, souligne Élisabeth Latrémolière. C’est sous son influence que sont créés les ateliers de faïence de Lyon et Nevers. Il soutient par ailleurs l’art de la glyptique qui n’existait plus depuis l’Antiquité, et nomme Matteo del Nassaro graveur du roi ». Il soutient en outre des artisans désireux de créer à Lyon la manufacture des draps de velours de soie, les célèbres soieries qui feront la renommée de la ville. « Il y a vraiment un moment François Ier. Une impulsion inégalée et qui reste sans lendemain quasiment jusqu’à Louis XIV, estime Olivier Bosc. Il y a un sommet dans toutes les productions, et les collections royales prennent un virage institutionnel. » François Ier constitue en effet d’importantes collections. Il expédie notamment Primatice en Italie en quête « d’antiquailles exquises » ; l’artiste procède au moulage des plus belles sculptures du Vatican puis les tire en bronze à Fontainebleau. Le souverain est aussi le premier à créer un cabinet pour réunir ses nombreux achats, commandes et cadeaux diplomatiques. Cette collection qui rassemble entre autres des chefs-d’œuvre de Léonard et Raphaël représente, rien de moins, que le noyau originel du département des Peintures du Louvre.

Un trésor bibliophilique
Outre le musée parisien, d’autres institutions contemporaines lui doivent beaucoup. Si on a exagéré son rôle dans la naissance du Collège de France, qui est davantage à mettre au crédit d’Henri II, son impact sur la constitution de la Bibliothèque royale n’a quant à lui pas assez été mis en exergue. C’est le propos de l’exposition que présente le château royal de Blois, siège de sa bibliothèque jusqu’en 1544. Les œuvres réunies proviennent essentiellement de la BnF, qui possède le plus vaste fonds de manuscrits en Europe hérités pour la plupart de la collection de François Ier. Le monarque a effectivement fondé une collection exceptionnelle. Sa librairie comprenait alors trois ensembles : les ouvrages de ses prédécesseurs, les livres saisis notamment aux Bourbons après leur disgrâce, et ses propres ouvrages. Aux livres dont il a hérité de ses parents, s’ajoutent quantité de pièces qu’il commandite. En plein âge d’or de l’imprimerie, le souverain porte surtout son attention sur le manuscrit, l’ouvrage de démonstration par excellence. Il en relance la production et crée la charge de relieur du roi. Ces pièces dont la superbe frappe ses contemporains ont vocation à témoigner de son faste et de son pouvoir. « La bibliothèque est davantage un cabinet de collection qu’un lieu d’érudition ; on y trouve aussi des objets d’art, de l’orfèvrerie et des dessins, rappelle Élisabeth Latrémolière. D’ailleurs, François Ier considère davantage les manuscrits comme une collection de peintures qu’un ensemble de “livres”. C’est plutôt l’image du roi collectionneur que du roi lettré qu’il veut donner par cette réunion. » Sa librairie, que les experts estiment à 3 000 pièces, comptait en effet moins de 30 % d’imprimés, sa finalité étant de conserver les ouvrages les plus précieux. Incontestablement, François Ier a été un mécène royal pour le livre.

Pourtant comme souvent l’histoire n’est pas univoque. S’il encourage l’édition, il la surveille tout autant. Un malentendu persiste ainsi sur la création par le roi du dépôt légal. « L’Édit de Montpellier n’a pas été pensé pour enrichir la bibliothèque avec les ouvrages de son temps, d’ailleurs aucun n’est entré dans la librairie royale sous son règne, précise la directrice du château royal de Blois. Mais bien pour surveiller les écrits des Réformés. » Le protecteur des lettres a donc aussi été celui qui a institué une longue tradition de censure. Un autre héritage qu’exploiteront durablement ses successeurs.

Sites et événements dans le Val de Loire : www.francois1er.org

« Trésors royaux, la bibliothèque de François 1er »
du 4 juillet au 18 octobre. Château royal de Blois (41). Du 1er juillet au 31 août, ouvert tous les jours de 9 h à 19 h ; du 1er septembre au 30 septembre de 9 h à 18 h 30 et du 1er octobre au 1er novembre de 9 h à 18 h. Tarifs : 10 et 7,5 €. Commissaires : Elisabeth Latrémolière et Maxence Hermant.
www.chateaudeblois.fr

« Guillaume Bruère. François 1er illimité »
jusqu’au 30 août. Domaine national de Chambord (41). Du 1er avril au 30 septembre, ouvert tous les jours de 9 h à 18 h.
Tarifs : 11 et 9 €.
Commissaire: Yannick Mercoyrol.
chambord.org

« Le roi et l’Empereur »
jusqu’au 20 septembre. Cité royale de Loches (37). Jusqu’au 30 septembre, ouvert tous les jours de 9 h à 19 h. Tarifs : 8,5 et 6,5 €.
www.chateau-loches.fr

« François 1er, roi-chevalier, roi-chasseur »
jusqu’au 30 septembre. Château de Montpoupon, Cere-la-Ronde (37). D’avril à septembre, ouvert tous les jours de 10 h à 19 h.
Tarifs : 9 et 7,5 €.
www.chateau-loire-montpoupon.com

« François 1er, dernier roi chevalier »
jusqu’au 4 novembre. Château de Rivau, Léméré (37). En juillet et août, ouvert tous les jours de 10 h à 19 h.
Tarifs : 10,5 et 8,5 €.
Commissaires : Patrice Franchet d’Epèray et Monique Châtenet.
www.chateaudurivau.com

« Les Brissac et François Ier: une famille au service de la Couronne de France »
jusqu’au 30 octobre. Château de Brissac à Brissac-Quincé (49). En juillet et août, ouvert tous les jours de 10 h à 18 h.
Tarifs: 10 et 8,5 €.
françois1er.org

« François 1er et la Renaissance dans les collections de faïence »
jusqu’au 16 novembre. Château royal d’Amboise (37). En juillet et août, ouvert tous les jours de 9 h à 19 h.
Tarifs: 10,9 et 9,4 €.
Commissaire: Jean-Louis Sureau .
www.chateau-amboise.com

« Une reine sans couronne ? Louise de Savoie, mère de François Ier »
du 13 octobre au 1er février 2016. Musée national de la Renaissance, château d’Écouen, rue Jean Bullant, Écouen (95) www.musee-renaissance.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : François Ier a-t-il été un vrai roi mécène ?

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