Entretien avec Philippe de Montebello

Le Journal des Arts

Le 16 mai 2003 - 777 mots

A l’occasion de l’exposition \"L’art des premières villes : le troisième millénaire avant notre ère de la Méditerranée à l’Indus\", Philippe de Montebello, directeur du Metropolitan Museum of Art de New York, revient dans un entretien sur le pillage du Musée archéologique national de Bagdad. En tant que signataire de la Déclaration des musées universels (lire le JdA no 161, 20 décembre 2002), il en a profité pour prêcher pour sa paroisse.

Quel est votre sentiment sur le saccage du Musée archéologique national de Bagdad ?
Il s’agit d’une des pertes les plus lourdes concernant une civilisation ancienne, une civilisation à laquelle le monde actuel doit tant. On a déjà comparé l’événement à l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. Cette histoire remonte à huit millénaires, à l’invention de l’écriture. Tant de tablettes cunéiformes, premiers exemples d’écriture, semblent avoir disparu, sans compter d’importantes œuvres d’art de la civilisation sumérienne, d’Ur, d’Uruk, et de nombreux autres sites. Le musée abritait des milliers d’objets découverts ces dernières décennies, sans doute jamais photographiés, et sur lesquels, pour la plupart, rien n’a été publié. C’est une perte totale. Il n’existe pas même d’inventaire de ces pièces.

Aurait-on pu éviter cela ?
Je ne répondrai pas à cette question depuis ma situation plutôt confortable. Je préfère dire que nous sommes disposés à offrir tout ce qui peut être utile, aide technique, échanges et matériel de conservation... L’une des grandes inquiétudes concerne le risque que les objets en or soient fondus. Il va sans doute falloir offrir des récompenses. Il faut que les gens possédant ces objets réalisent qu’ils ne trouveront pas de marché sur lequel ils obtiendront un prix plus élevé que le poids des objets en or. C’est par la suite qu’il faudra trouver un système qui les fasse renoncer à la fonte des pièces et les amène à les échanger contre de l’argent. Les objets pourront ainsi réintégrer le musée.

Connaissez-vous des musées qui pourraient se porter acquéreurs des pièces dérobées ?
Non, bien sûr. L’Association des directeurs de musées d’art américains (AAMD) recommande instamment à ses membres de signaler tout objet dont ils soupçonneraient l’origine irakienne. Nous mettons en place un site Internet (1) pour que tout le monde puisse déclarer un objet perdu. Mais après Kaboul et Bagdad, il faut se demander s’il est judicieux de mettre tous ses œufs dans le même panier. Si l’on peut toujours voir et étudier du matériel passionnant provenant d’Irak au British Museum de Londres, à Berlin, à l’université de Pennsylvanie, au Metropolitan Museum de New York et au Musée du Louvre, c’est le résultat de fouilles et de projets menés conjointement. Je pense que l’Irak devrait à nouveau s’ouvrir à des fouilles archéologiques communes. La position extrême selon laquelle tout doit rester dans son lieu d’origine s’est révélée très risquée. La communauté archéologique va devoir travailler avec celle des musées et élaborer avec elle des propositions raisonnables et intelligentes, dont l’enjeu ne sera pas idéologique, mais visera la connaissance et la préservation de ces pièces exceptionnelles. Aujourd’hui, si l’on peut admirer les ivoires de Nimroud, c’est parce que nous avons participé aux fouilles et qu’il y a eu partage des découvertes : un certain nombre de pièces ont été déposées ici, à New York, d’autres au British Museum et d’autres encore au musée irakien. Ces dernières sont probablement détruites aujourd’hui.

Après la guerre de 1991, des reliefs ont été pillés sur des sites comme Nimroud. On a retrouvé des pièces à Amman (Jordanie) ; certaines ont été rendues à leur lieu d’origine : elles risquent aujourd’hui de disparaître à nouveau, si ce n’est déjà fait. Avez-vous des suggestions pour éviter qu’elles subissent le même sort que les antiquités de Bagdad ?
Je n’ai pas de troupes à disposition. Tout ce que je peux faire, depuis la 82e Rue et la Cinquième Avenue à New York, c’est élever la voix pour supplier les organisations internationales et les gouvernements américain et britannique de penser au patrimoine de l’humanité.

De façon plus concrète, des personnes influentes qui ont été très proches du Metropolitan, comme Henry Kissinger, ont des contacts à Washington. Mis à part vous-même et le personnel du musée, le conseil d’administration a-t-il tenté quelque chose ?
Absolument. Nous avons fait tout notre possible, mais il faut bien dire que les priorités étaient ailleurs. Nous pouvons clamer notre point de vue haut et fort dans l’espoir de sensibiliser toutes les organisations officielles qui disposent des moyens nécessaires pour protéger ces biens. Le pillage de Bagdad fait de “L’art des premières villes”, notre exposition sur le troisième millénaire avant notre ère dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate, une sorte d’arche de Noé. Et cela me désole.

(1) www.aamd.org 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°171 du 16 mai 2003, avec le titre suivant : Entretien avec Philippe de Montebello

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