En France en 1500 - À la croisée des arts

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 29 septembre 2010 - 1347 mots

Période charnière, la France des années 1500, entre Moyen Âge et Renaissance, a vu émerger des artistes de premier plan mal connus du public. Au Grand Palais, découverte assurée d’un art tiraillé entre l’influence de l’Italie et celle des pays du Nord.

Le 11 novembre 1500, Louis XII (1462-1515), couronné roi de France deux ans auparavant, signe avec le roi Ferdinand d’Aragon le traité de Grenade. Par ce document, les deux monarques se partagent le royaume de Naples, confirmant ainsi la volonté de la France de prendre pied dans la péninsule italienne. Depuis 1499, Louis XII, petit-fils de Valentine Visconti, s’est en effet emparé du duché de Milan, emmenant le duc, le brillant mécène Ludovic Sforza, dans les geôles du château de Loches, où ce dernier mourra en 1508. 

Initiée sans succès dès 1494 par le prédécesseur de Louis XII, son cousin le roi Charles VIII (1470-1498), cette présence française en Italie ne sera pourtant qu’un feu de paille. Le Milanais est perdu dès 1501 et trois ans plus tard, c’est au tour du royaume de Naples de tomber. François Ier n’abandonnera ces prétentions qu’en 1529.  Pendant plusieurs décennies, les velléités dynastiques françaises de s’emparer de ces provinces auront donc entretenu un véritable mirage italien. Mais elles auront aussi procuré l’occasion d’une confrontation directe avec l’art italien de la Renaissance. À Naples, Charles VIII a ainsi admiré l’arc de triomphe sculpté du Castel Nuovo mais aussi les célèbres jardins de la villa de Poggio Reale, située sur les hauteurs de la ville. La fascination est réelle et plusieurs artistes sont alors invités à venir travailler en France. Ainsi de Guido Mazzoni, qui sculptera le tombeau du roi pour l’abbatiale de Saint-Denis, des frères Giusti, plus connus sous leur nom francisé d’Antoine et de Jean Juste, qui travailleront à celui de Louis XII et d’Anne de Bretagne, mais aussi des architectes Fra Giocondo et Dominique de Cortone.  

Les signes annonciateurs d’un renouveau artistique
Le phénomène n’est toutefois pas nouveau : quelques décennies plus tôt, le sculpteur Francesco Laurana avait été attiré en France à la cour du roi René, comte de Provence et roi de Naples. De nombreuses œuvres italiennes étaient donc visibles en France avant le règne de François Ier. Malgré leur influence indéniable, les guerres d’Italie ne suffisent donc pas à expliquer le basculement de l’art français vers la Renaissance. 

Présenté de manière presque exhaustive grâce à la réunion de quelque deux cents œuvres, le panorama artistique de la France des années 1500 exposé au Grand Palais sous la houlette de quatre commissaires [ci-contre] tend, au contraire, à illustrer la spécificité des prémices de la Renaissance française. Car ces années 1500, dans un pays pacifié après les affres de la guerre de Cent Ans, annoncent bel et bien l’émergence d’un changement artistique notable avant même que François Ier ne fasse de Fontainebleau, trente ans plus tard, le grand foyer des arts à la française. 

Plusieurs difficultés ont toutefois longtemps nui à la connaissance de cette période artistique. Malgré le renouveau du mécénat royal autour des rois Charles VIII puis Louis XII et de leur épouse commune, Anne de Bretagne, une multitude de foyers artistiques continuent à exister. Dans le Val de Loire, c’est autour de la résidence royale d’Amboise, où meurt Charles VIII, mais aussi de Blois et de Tours que se concentrent les artistes. Dans la capitale ligérienne, des ateliers d’enluminure perpétuent la tradition initiée par Jean Fouquet (vers 1420-1480). Dans le Bourbonnais, Anne de Beaujeu et son époux Pierre de Bourbon, qui exercent tous deux la régence lors de la minorité de Louis XII, attirent à eux de brillants artistes, dont le plus célèbre est Jean Hey. En Normandie, c’est autour de Gaillon et du mécénat du cardinal Georges d’Amboise que pénètre l’art de la Renaissance.

Outre cette dispersion géographique, signe de l’existence d’une pluralité de commanditaires, la difficulté réside aussi dans l’anonymat qui perdure pour de nombreux artistes. Tel est notamment le cas pour la sculpture où, hormis quelques figures comme Michel Colombe ou Guillaume Regnault, la plupart des auteurs sont restés anonymes. Ainsi du sculpteur de la gracieuse Notre-Dame de Grasse (vers 1470, Toulouse, musée des Augustins), qui allie schéma gothique et douceur du modelé.  

À Paris, la redécouverte de peintres et enlumineurs majeurs  
Si la peinture de chevalet demeure peu développée, quelques artistes de premier plan parviennent à s’imposer dans le domaine de l’enluminure et de la peinture religieuse. Quelques décennies auparavant, Jean Fouquet mais aussi Enguerrand Quarton (connu de 1444 à 1466) ou Nicolas Froment (connu à partir de 1461, mort en 1483 ou 1484) avaient fait office de précurseurs, optant pour une veine naturaliste proche de l’art nordique et poursuivie par une nouvelle génération d’artistes. Cela même si les nombreux manuscrits à peinture sont désormais colonisés par l’ornement italien. 

Actif au service des rois de France, de Louis XI à François Ier, Jean Bourdichon (vers 1457-1521) semble avoir succédé à Fouquet à Tours. Son travail reste toutefois d’abord connu pour son chef-d’œuvre, Les Grandes Heures d’Anne de Bretagne (entre 1503 et 1508, Paris, Bibliothèque nationale de France), manuscrit enrichi d’une quarantaine de peintures en pleine page présentant un étonnant répertoire de fleurs et d’insectes. 

À partir de 1496, Jean Perréal, peintre de Lyon et du duc de Bourbon, entre à son tour au service des rois. Auteur de nombreux dessins pour les fêtes et les entrées royales, il excelle également dans l’art du portrait, dans un style qui sera perpétué par les Clouet. L’exposition révèle aussi au grand public le talent de deux artistes attachés au roi, Jean Pichore et surtout Jean Poyet, actif à Tours, et qui fait depuis peu l’objet d’une véritable redécouverte.

Mais l’exposition a également permis la réunion exceptionnelle de la plupart des œuvres documentées du peintre majeur de l’époque, Jean Hey, longtemps resté anonyme et connu sous le nom de Maître de Moulins pour avoir été actif à la cour des Beaujeu. En témoignent les panneaux d’un petit triptyque démembré figurant Pierre, Anne de Beaujeu et leur fille Suzanne – cette partie a été découpée et est aujourd’hui conservée isolément – appartenant aux collections du musée du Louvre (vers 1492). 

Si le Triptyque de la Vierge en gloire de la cathédrale de Moulins n’a logiquement pas été déplacé, de nombreux prêts, provenant notamment d’institutions américaines et britanniques, permettent d’offrir un panorama complet de son talent. Actif à partir de 1480, comme en attestent ses premiers tableaux (La Nativité, vers 1480-1483, Autun, musée Rolin), Jean Hey a été identifié comme étant le Maître de Moulins grâce à une petite huile sur panneau datée et authentifiée par une inscription. Cet Ecce Homo (v. 1494, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique) a fait le voyage à Paris.

L’exposition est de plus l’occasion d’une réunion inédite des quatre panneaux permettant de documenter l’œuvre d’un peintre anonyme, le Maître de Saint Gilles. Partagées entre Londres et Washington, ces peintures, considérées comme les volets d’un triptyque dont le centre aurait disparu, montrent à quel point la tradition nordique est demeurée présente dans la peinture du royaume de France.

Les autres arts n’échappent pas à cet épanouissement. Qu’il s’agisse de l’émail, du vitrail qui rivalise alors avec la peinture, de la médaille mais aussi du mobilier, toutes les productions témoignent de ce même syncrétisme entre goût pour le naturalisme nordique et séduction des ornements à l’antique. Nul doute que, vers 1500, le royaume de France a été le creuset d’échanges féconds entre Nord et Sud, propices à la création d’un art hybride et singulier.

Repères

1480 Les manuscrits aux décors italianisants se multiplient. Jean Hey, peintre de formation flamande, est actif à la cour de Beaujeu.

1484-1500 La Dame à la licorne, tapisserie « millefleurs », est tissée dans les Flandres.

1494 Les guerres d’Italie favorisent la pénétration de l’art italien en France.

1499 Début d’une grande diffusion, en France, de sculptures funéraires d’artistes italiens.

1500 Nouvelle technique du vitrail, le verre plaqué. 1502 Travaux engagés au château de Gaillon qui accueillera des artistes italiens de renom.

1515 François Ier, futur mécène de l’école de Fontainebleau, devient roi de France.

L'expo
Commissaires de l’exposition : Élisabeth Taburet-Delahaye, directrice du Musée national du Moyen Âge, Geneviève Bresc-Bautier, directrice du département des sculptures du Louvre, Thierry Crépin-Leblond, directeur du musée national de la Renaissance et Martha Wolff, conservateur à l’Art Institute of Chicago.

Autour de l’exposition
Informations pratiques. « France 1500, entre Moyen Âge et Renaissance », du 6 octobre 2010 au 10 janvier 2011. Tous les jours sauf le mardi de 10 h à 20 h. Jusqu’à 22 h le mercredi. Jusqu’à 18 h les 24 et 31 décembre. Fermé le 25 décembre. Tarifs : 8 et 11 euros. www.rmn.fr
Dans la France de 1500. La France de 1500 se caractérise par sa pluralité de foyers artistiques. Le passionné ira donc découvrir les vitraux de la cathédrale et de l’église de la Madeleine de Troyes, témoignages de qualité des changements techniques et stylistiques. Près de Bourges, le château de Meillant est également un bel exemple d’hybridation entre gothique flamboyant et motifs à l’antique. Et pour suivre les premiers pas de la Renaissance française, le tombeau des ducs de Bretagne réalisé par Michel Colombe repose dans la cathédrale de Nantes.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°628 du 1 octobre 2010, avec le titre suivant : En France en 1500 - À la croisée des arts

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