Art moderne

Dufy était-il un bon peintre ?

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2019 - 864 mots

Masqué par des scènes un peu trop mièvres et des procédés qui ont fait sa célébrité avant de le desservir, le peintre se révèle au Havre pour peu qu’on le cherche.

Le Havre. « Tout n’est pas bon chez Raoul Dufy », constate placidement Sophie Krebs, conservatrice en chef au Musée d’art moderne de la Ville de Paris qui compte La Fée Électricité dans ses collections. Grâce à ce tableau de 600 m2 réalisé pour le Palais de la lumière et de l’électricité de l’Exposition internationale de 1937, Raoul Dufy (1877-1953) a prouvé ses talents de décorateur. Mais était-il un bon peintre ? Oui, et même peut-être « trop » bon, si l’on considère sa virtuosité qui l’a souvent poussé à la facilité…

Fin 1899, après une formation auprès de Charles Lhullier au Havre, le jeune Dufy rejoint son ami Othon Friesz dans l’atelier de Léon Bonnat à l’École nationale des beaux-arts. En compagnie d’Albert Marquet, rencontré en 1901, il s’oriente vers le fauvisme qu’il expérimente à Martigues ou à Marseille. Admirateur de Matisse, il découvre Luxe, calme et volupté au Salon des indépendants de 1905 : « Le réalisme impressionniste perdit pour moi tout son charme », déclarera-t-il plus tard à propos de cette révélation. Cette même année, il commence à s’intéresser à Cézanne et, en 1907, il visite la rétrospective qui lui est consacrée au Salon d’automne. En 1908, c’est avec Braque, qu’il connaît depuis 1903, qu’il part à La Ciotat et à l’Estaque pour mettre en œuvre les principes cézanniens de composition. Mais contrairement à son ami, il reste attaché à la couleur intense et abandonne assez vite le cubisme qu’ils ont expérimenté ensemble. Dans les œuvres de ces années, l’absence de perspective, la distorsion des formes et les recherches chromatiques aboutissent à un style très personnel et séduisant.

Dès sa jeunesse, Dufy pratique aussi le dessin d’illustration, grave et s’intéresse aux arts décoratifs. Sa rencontre en 1909 avec le couturier Paul Poiret le conduit à envisager de créer des motifs pour ses robes. En 1910, les soieries Atuyer-Bianchini-Férier impriment le premier tissu d’après ses cartons et, en 1911, il fonde La Petite usine d’impression textile avec Poiret. Or, dans l’estampe populaire, que le peintre apprécie depuis toujours, aussi bien que dans le textile imprimé, la couleur est appliquée séparément du dessin et rarement en parfaite adéquation avec celui-ci. Est-ce cet effet de dissociation du trait et de la couleur, également présent dans certaines œuvres de Cézanne, qui a séduit Dufy au point de le conduire à l’expérimenter dans sa peinture ?

Un style signature

Au milieu des années 1910 s’annonce ce qui sera son style, reconnaissable entre tous. À partir des années 1920, presque toutes ses œuvres sont constituées de plages colorées sur lesquelles se superposent des éléments dessinés, parfois réduits à l’état de symboles lorsqu’il s’agit de représenter des vagues, des oiseaux ou de la fumée.

Muni de cette technique, il se met à produire beaucoup, tant en peinture de chevalet et murale que dans le domaine des arts décoratifs – illustrations, décors de théâtre, cartons de tapisseries et de tissus d’ameublement, dessins de mode, céramiques. En 1937, Élie Faure écrit dans Le Point : « Dufy, dont l’œuvre fourmille de qualités décoratives primesautières parfois, le plus souvent trop rusées, ne dirait-on pas que la peinture l’abandonne parce qu’il s’abandonne lui-même aux futilités de la chronique, de la mode, de l’événement quotidien ? » C’était vrai, mais pas toujours. Le « peintre de la grâce légère, de la fraîcheur, de l’allégresse » comme le définissait Louis Vauxcelles, sut aussi réaliser des œuvres fortes – paysages, portraits ou nus – qui nous parlent encore.

Une carrière à la lumière du Havre  

Biographie. Au musée du Havre, c’est l’enfant du pays que célèbrent Annette Haudiquet (directrice du musée) et Sophie Krebs, commissaires de l’exposition. Non par opportunité, mais parce que Raoul Dufy a toute sa vie été inspiré par ce port et ces plages qu’il est revenu peindre, tant qu’il a été en mesure de voyager. Si bien que toute son évolution stylistique peut se lire dans ces 84 œuvres ayant pour sujet sa ville natale. Puisque celle-ci a en grande partie disparu dans les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, un travail de documentation important a permis de retrouver les lieux peints par Dufy et ses ateliers. Il s’y est exercé à un impressionnisme modéré, puis au fauvisme et au cézannisme et l’on retrouve les quais, les plages et les estacades inlassablement refaçonnés par ces influences successives. La couleur bleue, si importante pour lui, est analysée dans toutes ses déclinaisons ainsi que certains motifs récurrents comme la baigneuse, interprétée de manière monumentale, loin de Cézanne dont elle dérive. Le thème du cargo noir, caractéristique de la fin de vie du peintre, témoigne de ses recherches sur la lumière qui éblouit jusqu’à l’aveuglement. Il a donné naissance à des œuvres intenses, presque tragiques. Sélectionnées parmi les meilleures, les toiles viennent de toute la France, de collections particulières et souvent de l’étranger, comme les remarquables « Coup de vent ». Pêcheurs à la ligne (1907), La Plage à Sainte-Adresse (vers 1908-1909), La Grande Baigneuse (1914), en provenance de Hollande et de Belgique ou la Vue de Sainte-Adresse (1924) conservée en Suisse.

 

É.S.

Raoul Dufy au Havre,
jusqu’au 3 novembre, Musée d’art moderne André Malraux (MuMa), 2, boulevard Clémenceau, 76600 Le Havre.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°526 du 21 juin 2019, avec le titre suivant : Dufy était-il un bon peintre ?

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque