Musée

XIXE SIÈCLE

Derrière Gauguin, l’ombre de Laval

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 4 décembre 2018 - 870 mots

AMSTERDAM / PAYS-BAS

Le Musée Van Gogh présente la première exposition sur le séjour en Martinique des deux peintres amis. Une période méconnue qui révèle de rares Gauguin et permet de questionner l’œuvre de Laval.

Amsterdam. Le 10 avril 1887, Paul Gauguin (1848-1903) et son ami et disciple Charles Laval (1861-1894) mettent le cap à l’Ouest. À Saint-Nazaire, ils embarquent en troisième classe sur le paquebot Canada pour Colón, au Panama. Gauguin écrit à sa femme Mette : « Je m’en vais à Panama pour vivre en sauvage. [...] J’emporte mes couleurs et mes pinceaux et je me retremperai loin de tous les hommes. » Mais rien ne se passe comme prévu et les deux amis, qui ont pu apprécier la Martinique lors d’une escale, reviennent y jeter l’ancre à la mi-juin. Ils s’installent, raconte Gauguin, « dans une case à nègres et c’est un paradis à côté de l’isthme. Au-dessous de nous la mer bordée de cocotiers, au dessus (sic) des arbres fruitiers de toutes espèces à 25 minutes de la ville ».

Avant son retour précipité par la maladie, Gauguin peint et dessine. « Je rapporterai une douzaine de toiles dont quatre avec des figures bien supérieures à mon époque de Pont-Aven, écrit-il à [son ami] Émile Schuffenecker. […] ce que je rapporte est d’attaque ; malgré ma faiblesse physique je n’ai jamais eu une peinture aussi claire, aussi lucide (par exemple beaucoup de fantaisie). » Lorsqu’il rentre en France, en novembre, ses œuvres séduisent les Van Gogh : il vend à Théo Aux mangos, Martinique, puis échange avec Vincent Au bord de la rivière, Martinique, contre deux natures mortes. Ces deux toiles et le dessin Tête de Martiniquaise, acquis également par Théo, appartiennent au Van Gogh Museum d’Amsterdam. Celui-ci possède une toile de Laval, Paysage, Martinique, et a fait récemment l’acquisition de deux de ses gouaches, Deux porteuses de paniers en Martinique et Femmes au bord de la mer, datées de 1889 mais, dont on ne sait pas si elles ont été postdatées par le peintre ou réalisées en 1889.

Propriétaire en outre de l’Autoportrait (1888) de Laval, de l’Autoportrait avec portrait d’Émile Bernard (Les Misérables) (1888) de Gauguin, envoyés conjointement à Vincent Van Gogh à l’été 1888, le musée réunit le plus grand nombre d’œuvres en rapport avec ce voyage. Il avait donc toute légitimité pour rassembler, sous le commissariat de Maite Van Dijk et Joost Van Der Hoeven, 80 œuvres et documents sur ce thème dans une exposition d’autant plus précieuse que, ses fragiles Gauguin ne pouvant être déplacés, le Van Gogh Museum est le seul lieu où elle sera présentée.

Neuf toiles de Gauguin et trois de Laval forment la totalité des huiles peintes quasi certainement à la Martinique présentées à l’exposition. Si on se réfère au catalogue l’accompagnant, neuf autres huiles auraient été peintes par Gauguin durant ce séjour, ce qui fait un total de dix-huit. On est loin de la douzaine qu’il évoque dans sa lettre à Schuffenecker. A-t-il eu la possibilité de travailler encore, entre sa lettre de septembre et son départ fin octobre ? A-t-il terminé des toiles à son retour ? Par ailleurs, outre les trois huiles de Laval montrées à Amsterdam, le catalogue n’en mentionne qu’une autre peinte à la Martinique, représentant un cavalier. Or Laval est resté dans l’île probablement jusqu’à la fin du printemps 1888. Même souvent malade, il n’a pu être aussi peu productif. On sait qu’il a repris des sujets martiniquais après son retour : une peinture à la cire sur carton, L’Anse du Carbet en Martinique, femme à la robe rouge (1893), est passée en vente récemment, authentifiée par le spécialiste de Laval, Clément Siberchicot.

Un historique des attributions un peu flou

Roger Cucchi raconte dans son livre Gauguin à la Martinique (1979) que, lorsqu’il préparait celui-ci, il a demandé au marchand d’art Daniel Wildenstein l’autorisation de reproduire la partie correspondante de son catalogue de 1964. Celui-ci lui fit une liste des œuvres qu’il n’attribuait plus à Gauguin dont Femmes et chèvre dans le village (Israël Museum, Jérusalem, absent de l’exposition) et Chemin sous les cocotiers, qu’il donne désormais à Laval, ainsi que Le Petit Laveur (aujourd’hui La Petite Laveuse), qu’il considérait comme faux. Ces deux dernières œuvres sont pourtant présentées à Amsterdam sous le nom de Gauguin. Le catalogue qui, selon les commissaires, recherche « un équilibre entre la prise en considération des mérites artistiques de Gauguin et de Laval et la critique du contexte historico-culturel et de la tradition visuelle », n’aborde pas l’historique des attributions, c’est dommage. Cependant, l’événement s’inscrit dans un projet de recherche à long terme sur les œuvres de Gauguin en Martinique. L’ouvrage précise que « toutes les attributions à Paul Gauguin et à Charles Laval sont basées sur le catalogue de l’œuvre de Paul Gauguin établi par le Wildenstein Plattner Institute (Wildenstein et al. 2001) et sur des données de recherche récentes. »

Dotée d’une scénographie qui permet de comparer aux toiles achevées les dessins et esquisses, dont certains sont montrés pour la première fois, enrichie d’œuvres postérieures à l’épisode martiniquais (malheureusement, plusieurs sont très éloignées du sujet), l’exposition est la première consacrée au thème de cette amitié et de ce voyage. Aux côtés d’un Gauguin très inspiré, elle permet de redécouvrir Laval, dont certaines œuvres annoncent le synthétisme.

Gauguin et Laval en Martinique,
jusqu’au 13 janvier, Musée Van Gogh, Museumplein 6, 1071 DJ Amsterdam (Pays-Bas).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : Derrière Gauguin, l’ombre de Laval

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