Art contemporain

XXE SIÈCLE

Derek Jarman, revenu d’entre les morts

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2021 - 541 mots

IVRY-SUR-SEINE

Le Crédac consacre une exposition à cet artiste britannique disparu dont l’œuvre, frayant avec le kitsch et le mystique, n’avait jamais été montrée en France.

Derek Jarman. © Gorup de Besanez, 1991, CC BY-SA 3.0
Derek Jarman.

Ivry-sur-Seine. Claire Le Restif, la directrice du Centre d’art contemporain d’Ivry-sur-Seine (Crédac), a modifié le calendrier de sa programmation afin que l’exposition consacrée à Derek Jarman (1942-1994) ait toutes les chances de rencontrer son public. Cette figure de l’underground britannique, invisible en France, est devenue une référence-culte. Artiste, réalisateur et militant de la cause homosexuelle, Derek Jarman fut l’un des premiers personnages publics à annoncer sa séropositivité dans les médias britanniques. Ce, à une époque où les tabloïds anglais rivalisaient dans leurs colonnes d’ignominie envers les malades, et alors que la Première ministre, Margaret Thatcher, avait empêché le financement des associations de lutte contre le sida, en les assimilant à des organismes de promotion de l’homosexualité.

Ces faits semblent dater. Pourtant, ils ont eu lieu au milieu des années 1980, moment-clé sur lequel le Crédac a choisi de s’arrêter. Alors âgé de près de 50 ans, Derek Jarman a déjà signé une dizaine de longs métrages – il fut le premier à faire tourner l’actrice Tilda Swinton (Caravaggio, 1986, Ours d’argent à la Berlinale). Quelques mois avant sa mort, et alors qu’il commence à perdre la vue, il revient à la peinture. Huit de ses « Queer paintings » (1992) sont présentées dos à dos, accrochage qui souligne la dimension protestataire de ces tableaux aux allures de pancartes, badigeonnés de couches épaisses sur un marouflage de journaux honnis. « Tragedy », « Spread the Plague », « Dead Angels » : les mots tracés en creux dans leurs empâtements ont la puissance évocatrice d’un cri. Aux murs sont accrochés de plus petits formats, et le film Super 8 Death Dance (1973), danse macabre d’hommes nus dans le style de Cocteau, est également projeté.

De petites toiles au goudron

La suite du parcours présente les « Blacks paintings » : de petites toiles passées, pour la plupart, au goudron, et à la surface desquelles objets et débris divers (cailloux, bouts de tissu ou d’ossements, tiges métalliques, mais aussi alliances, clous, préservatifs usagés, perles…) sont agglutinés dans des compositions semblables à des reliquaires païens. La plupart de ces rebuts proviennent de la plage de Dungeness (en Angleterre), en contrebas de la cabane de pêcheur dont Derek Jarman avait fait sa résidence secondaire. Parfois le doré l’emporte sur le noir résineux et funèbre. Dans tous les cas, ces assemblages se situent à la lisière du kitsch. Mais ce qui est beau et touchant dans cette présentation échappe aux considérations esthétiques.

Alors que quelques documents d’archives rappellent l’énergie avec laquelle l’artiste s’employa à faire pousser un jardin sur la terre aride du Kent, c’est la figure d’un homme debout dans l’épreuve et son aura qui rayonnent dans cette exposition, dont le titre « Dead Soul Whisper » a des accents quasi mystiques. On pourrait s’agacer de cette tentative de béatification artistique. Cependant, la projection, dans la salle obscure du Crédakino, de Blue (1993), l’ultime long métrage dirigé par Jarman, compense largement cette impression. Le film se résume à un seul plan fixe, d’un bleu intense, accompagné d’une bande-son constituée de la lecture du journal de Derek Jarman, quasi aveugle, et d’une composition musicale originale de Simon Fisher Turner. C’est contemplatif et bouleversant.

Derek Jarman, Dead Soul Whisper (1986-1993),
jusqu’au 19 décembre, Le Crédac, La Manufacture des œillets, 1,place Pierre-Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°579 du 10 décembre 2021, avec le titre suivant : Derek Jarman, revenu d’entre les morts

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