Art contemporain

XXE SIÈCLE

Dans les souvenirs de Vieira da Silva

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 19 août 2022 - 656 mots

MARSEILLE

Puisant dans sa mémoire la matière figurative de son œuvre, la peintre a créé un langage qui dissout les formes. Elle bénéficie d’une rétrospective au Musée Cantini à Marseille.

Marseille. La rétrospective consacrée à Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) fait suite à l’acquisition par le Musée Cantini, en 2020, de sa toile Marseille blanc (1931), raconte Guillaume Theulière, conservateur au musée. Elle coïncide avec la commémoration des 30 ans de la disparition de l’artiste et la Saison France-Portugal pilotée par l’Institut français, en partenariat avec la galerie Jeanne Bucher Jaeger (Paris), liée à Vieira da Silva depuis 1932.

Riche d’une centaine d’œuvres dont plus de 80 sont présentées à Marseille, l’exposition est organisée en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Dijon – dépositaire grâce à la donation Granville d’un important fonds de l’artiste et de son mari, Arpad Szenes. Elle y sera ensuite présentée.

Si elle a ses aficionados inconditionnels, Maria Helena Vieira da Silva ne jouit pas de la notoriété qu’elle devrait connaître, en partie parce que la reproduction ne permet pas d’apprécier à leur juste valeur la plupart de ses œuvres. Il faut, pour cela, faire l’expérience du contact rapproché et du temps passé dans la contemplation du tableau. Celle qui a toujours refusé d’être assimilée à un mouvement était une artiste figurative s’exprimant dans un langage proche de l’abstraction. En s’immergeant dans sa peinture, on peut parcourir l’espace et le temps tels que les reconstruisait sa mémoire.

Déformations de la mémoire et distorsions de la réalité

La rétrospective permet de la suivre dans ses recherches, de la figuration pure à la restitution de traces, d’empreintes et des distorsions de la réalité liées au fonctionnement de la mémoire. Une étape est franchie avec la forme étrange représentée dans Marseille blanc. Une petite huile, Marseille (1931, [voir ill.]), montre une maison devant cette forme, ce qui permet de comprendre qu’il s’agit d’une vue de la ville. Mais, pour saisir de quoi l’artiste est partie, il faut se référer à une photographie des années 1930 publiée dans le catalogue et décrivant un pâté d’immeubles vétustes de Marseille, cernés et soutenus par des étais montant jusqu’aux toits.

« Vieira da Silva peint de mémoire », a écrit Pierre Wat dans le catalogue de l’exposition organisée par les galeries Jeanne Bucher Jaeger, Waddington Custot (Londres) et Di Donna Galleries (New York) en 2019. Elle l’a dit à maintes reprises, ses œuvres ont pour point de départ ses souvenirs : l’aqueduc lisboète de son enfance ; les immeubles étagés et les azulejos de Lisbonne ; le pont transbordeur de Marseille. Mais aussi la bibliothèque de son grand-père ; la grande maison de cet aïeul, où elle vivait avec sa mère après le décès de son père en 1911 et qu’elle percevait comme un labyrinthe, « lieu habité d’ennui et de solitude »,écrivaient Florence Évrard, Isabelle Gozard dans la revue Sigila en 2011. Sources d’inspiration encore, le théâtre où elle allait dans sa jeunesse ; Les Joueurs de cartes de Cézanne ; l’exposition de Bonnard en 1928 à la galerie Bernheim-Jeune et les nappes à carreaux que l’on voit chez lui ; L’Allégorie et les effets du bon et du mauvais gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti, à Sienne…

Une autre clé de son œuvre est identifiée par l’essai de Milena Glicenstein dans le catalogue : grande amatrice de poésie, Vieira da Silva était sujette à ce trouble de la perception qu’est la synesthésie, comme Rimbaud. Musicienne, elle a raconté, par exemple, que devant Les Nymphéas de Monet elle était plongée dans Debussy et que, regardant les clefs représentées par Fernand Léger, elle « entendai[t] avec [ses] yeux le bruit des machines ». Muni de ces informations, attentif aux lignes, aux rythmes, aux pertes de repères, aux froissements de l’espace et du temps, le spectateur peut pénétrer sur ses pas dans la Véranda (1948), la Bibliothèque (1949), les Jardins suspendus (1955), la Ville dorée (1956), survoler l’Estuaire bleu (1974) ou suivre les Chemins de la paix (1985).

Vieira da Silva. L’œil du labyrinthe,
jusqu’au 6 novembre, Musée Cantini, 19, rue Grignan, 13006 Marseille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Dans les souvenirs de Vieira da Silva

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