Église

Art médiéval

Comment Strasbourg accomplit sa révolution gothique

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2015 - 699 mots

Le Musée de l’Œuvre Notre-Dame met en scène avec clarté, en ne s’interdisant pas quelques effets spectaculaires, l’arrivée du style gothique à Strasbourg.

STRASBOURG - « La manière dont Strasbourg assimila le renouveau artistique et combla son retard pour devenir l’un des hauts lieux de l’art gothique est le sujet de cette exposition », explique Jean Wirth, spécialiste de l’image médiévale et commissaire de « Strasbourg 1200-1230 ». Sept ans après avoir présenté les particularités de l’art strasbourgeois au tournant du XVe siècle (lire le JdA no 279, 11 avril 2008), le Musée de l’Œuvre Notre-Dame remonte le temps pour décrire un moment qui constitue « un véritable bouleversement ».

Aux alentours de 1220, un vent de modernité gothique arrive de France jusqu’à Strasbourg (alors intégrée au Saint Empire romain), où les formes romanes perdurent, comme en témoigne la très hiératique tête de roi placée en 1200 sur le portail du bras nord de la cathédrale Notre-Dame. Tout porte à croire qu’un « sculpteur-architecte » accompagné de quelques compagnons est venu de Chartres à Strasbourg pour diriger le chantier du transept sud de Notre-Dame, en reconstruction depuis 1180. Celui que la recherche en histoire de l’art rebaptisera en l’absence de données biographiques « le maître gothique » va faire courir le long du double portail de l’édifice un cycle de sculptures monumentales, aux visages expressifs et aux drapés fluides et moelleux. Les équipes du « maître gothique » ont notamment donné à Strasbourg ses œuvres les plus célèbres : descendues du portail de Notre-Dame au début du XXe siècle pour les préserver des dégradations, l’Église et la Synagogue figurent parmi les plus beaux morceaux de sculpture médiévale occidentale.

Comme le Musée du Louvre-Lens il y a quelques mois (1), le Musée de l’Œuvre de Notre-Dame s’est attaqué à la délicate question des transferts artistiques, avec la transmission d’un style gothique d’un espace géographique à un autre. Si l’institution lensoise a choisi de traiter simultanément plusieurs espaces géographiques distincts porteurs de similarités stylistiques – au risque d’égarer le spectateur –, le Musée de l’Œuvre a fait de l’art strasbourgeois le moteur de son discours. Puisant largement dans ses propres collections, il propose un parcours chronologique didactique où les œuvres émanant d’horizons plus lointains font l’objet de sections identifiées comme autant d’étapes concourant à la mise en place du gothique strasbourgeois.

Choix pertinent
La section présentant le style antiquisant qui s’est épanoui aux alentours de 1200 au nord de l’Europe en orfèvrerie avant de gagner la statuaire des cathédrales (Sens, Laon, Reims, Chartres) offre un choix resserré mais pertinent de pièces venues d’institutions publiques et privées. Sur la manche plissée de la Vierge de la Nativité de la cathédrale de Chartres, prêtée pour l’occasion, on reconnaît les mêmes lignes que celle du bras de la Synagogue. Scandée par des panneaux et un petit film documentaire, l’exposition livre un discours clair et pédagogique, qui ne sacrifie pas la contextualisation historique, iconographique ou artistique à l’étude des styles. Et si l’installation des œuvres et leur scénographie ont été contraignantes (une partie des collections ont dû être déménagées, le musée ne possédant pas d’espace d’exposition temporaire), l’accrochage réserve quelques effets spectaculaires, en particulier dans la section consacrée aux œuvres du transept sud de la cathédrale. La plus vaste salle du musée, d’ordinaire immaculée, bénéficie ainsi d’un éclairage venant dissimuler les œuvres du parcours permanent – réduites pendant quelques mois à l’état de fantôme –, et révéler celles choisies pour l’exposition. Parmi elles, des superstars de la statuaire comme le moulage du tympan de la Dormition de la Vierge, mais aussi des pièces inconnues : retrouvée en 2013 dans une collection particulière allemande, une jolie tête de saint Jean est révélée pour la première fois au public. Présentées en compagnie de têtes d’apôtres bien amochées, elle frappe par son bon état de conservation qui met en valeur l’expressivité toute gothique de la bouche.

Note

(1) Exposition « D’or et d’ivoire. Paris, Pise, Florence, Sienne 1250-1320 » (lire le JdA no 439, 3 juillet 2015).

Strasbourg 1200-1230

Commissaires : Cécile Dupeux, conservatrice en chef du Musée du l’Œuvre Notre-Dame ; Jean Wirth, professeur honoraire d’histoire de l’art médiéval à l’Université de Genève
Nombre d’œuvres : 70

Strasbourg 1200-1230. La rêvolution gothique

Jusqu’au 14 février 2016, Musée de l’Œuvre Notre-Dame, 3, place du Château, 67000 Strasbourg, tél. 03 68 98 51 60, www.musees.strasbourg.eu, tlj sauf lundi 10h-18h, entrée 6,50 €. Catalogue, éd. Musées de la Ville de Strasbourg, 320 p., 39 €

Légende photo
L’Église, Strasbourg, cathédrale, portail du bras sud du transept, vers 1220, grès, Musée de l’Œuvre Notre-Dame, Strasbourg. © Photo : M. Bertola.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Comment Strasbourg accomplit sa révolution gothique

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