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ÉGYPTOLOGIE / EXPOLOGIE

Cléopâtre au-delà du mythe

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2025 - 648 mots

Grâce à une scénographie judicieuse, l’Institut du monde arabe révèle la complexité d’une reine devenue une icône mondiale.

Jean-André Rixens, La Mort de Cléopâtre, 1874, huile sur toile, 198 x 289 cm, Toulouse, Musée des Augustins. © Musée des Augustins
Jean-André Rixens, La Mort de Cléopâtre, 1874, huile sur toile, 198 x 289 cm, Toulouse, Musée des Augustins.
© Musée des Augustins

Paris. « Mystère », « légende », « mythe », « icône » : les commissaires de l’exposition présentée à l’Institut du monde arabe usent de tous les termes pour cerner Cléopâtre au-delà de la caricature dont elle fait l’objet dès l’Antiquité. L’historien Christian-Georges Schwentzel rappelle ainsi que « les auteurs romains ont inventé une caricature de Cléopâtre, souvent obscène, et sous l’angle de ses relations avec les hommes ». L’exposition, dont Claude Mollard est le commissaire principal, tente de dépasser les clichés pour accéder à la véritable Cléopâtre, dont il subsiste très peu de traces authentiques et dont les historiens ignorent l’aspect physique. « Nous ne disposons d’aucune précision sur sa carnation ou sa chevelure, et sa beauté n’est évoquée ni par Jules César ni par Cicéron », souligne ainsi Christiane Ziegler, directrice honoraire du département des Antiquités égyptiennes du Louvre. Pour pallier ce manque, sont montrées des monnaies frappées pendant le règne de Cléopâtre (52-30 av. J.-C.), « un support de diffusion d’une image réaliste » de la reine, indique Christian-Georges Schwentzel. Souvent austère, la présentation des monnaies est rendue attrayante par la scénographie de Clémence Farrell. Outre les tons ocre et bleu nuit « inspirés de la colorimétrie de monuments égyptiens », cette scénographie joue sur la monumentalité d’un module évidé où sont projetées les monnaies en grand format.

Récupérée par l’orientalisme

La suite du parcours réhabilite Cléopâtre par le biais de quelques sources tardives (des historiens arabes), et présente une mosaïque d’interprétations de cette figure iconique. De son nez censé être long (d’après une citation de Pascal), démultiplié dans l’installation humoristique de l’artiste contemporaine Esmeralda Kosmatopoulos, à son suicide, en passant par sa chevelure et son rôle politique, l’image de Cléopâtre se métamorphose. La sélection de toiles du XVIIe au XIXe siècle (Cabanel, Tiepolo, Rixens) révèle ainsi l’obsession des peintres européens pour la scène de son suicide [voir ill.], avec nudité et profusion de tissus exotiques. Ici des parois disposées à 45 degrés et recto verso favorisent une confrontation des œuvres sans chronologie, « un décloisonnement du regard » selon Clémence Farrell. « Après avoir été réhabilitée à la Renaissance comme femme de pouvoir, Cléopâtre est récupérée au XIXe siècle par l’orientalisme et la peinture de style pompier qui accentuent son érotisme », analyse la co-commissaire Nathalie Bondil.

Plus que l’érotisme, c’est le caractère de Cléopâtre que la suite met en lumière : trois écrans contigus projettent des films des années 1920 à aujourd’hui – étrangement, peu de films arabes figurent dans la sélection. En regard des écrans, deux vitrines hexagonales à fond noir brillant et une scène reconstituée présentent des costumes portés par les actrices et comédiennes ayant incarné Cléopâtre (Sarah Bernhardt, Monica Bellucci), ainsi que des pièces de haute couture inspirées par la reine égyptienne. Les reflets sur fond noir produisent un effet de kaléidoscope qui achève de convaincre les visiteurs que Cléopâtre ne se laisse pas cerner.

Du nationalisme égyptien des années 1930 aux publicités télévisées des années 1990 (lessives, paris sportifs, voitures), la reine est utilisée comme symbole de pouvoir féminin teinté d’humour, mais elle est figée dans une coiffure rigide et des tenues faussement égyptiennes : elle est devenue une icône. Quelques accessoires de l’opéra créé en 1927 par le poète Ahmad Chawqi illustrent la tentative de créer une Cléopâtre arabe moderne débarrassée des stéréotypes. Cette partie aurait mérité d’être plus développée en tant que contrepoint à l’image de Cléopâtre en Occident.

Dans la dernière salle, assez exiguë comme le concède la scénographe, des œuvres contemporaines donnent un aperçu des interprétations féministes de Cléopâtre, ainsi de la photographie de Cindy Sherman. La parcours s’achève sur la sculpture massive de Barbara Chase-Riboud, un trône en plaques de bronze entouré de parois noires brillantes, métaphore du rôle de cheffe d’État de Cléopâtre. L’exposition navigue donc assez habilement entre stéréotypes, réappropriations et vérité historique, sans toutefois mettre suffisamment en valeur les sources arabes sur Cléopâtre et son mythe.

Le mystère Cléopâtre,
jusqu’au 11 janvier 2026, Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Cléopâtre au-delà du mythe

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