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Société

Ce que nous voyons, ce qui nous soulève

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 6 décembre 2016 - 787 mots

PARIS

Au Jeu de paume, Georges Didi-Huberman a construit un parcours sensible de l’iconographie des « Soulèvements » en associant historique et contemporain, œuvres et documents.

PARIS - La proposition de Georges Didi-Huberman, qui s’interroge ici sur la représentation des soulèvements, trouve logiquement sa place au Jeu de paume, à Paris, lieu qui a régulièrement programmé des artistes contemporains dont les travaux sont inscrits dans un contexte politique et social. Mentionnons à ce titre Sophie Ristelhueber, Valérie Jouve, Mathieu Pernot, Taryn Simon ou, dernièrement Joana Hadjithomas & Khalil Joreige.

En ces temps troubles, les questionnements du philosophe et historien de l’art ne peuvent que susciter de l’intérêt, que l’on connaisse ou non ses écrits, que l’on ait vu ou non son exposition « Atlas » (Musée Reina-Sofía, Madrid, 2010), qui préfigurait l’exposition actuelle.
Ceux qui l’ont lu retrouvent dans « Soulèvements » nombre d’artistes et d’écrivains qui lui sont chers, mais aussi des documents en lien avec sa propre histoire, familiale et intellectuelle, telles les quatre images prises à Auschwitz en août 1944 par les membres du Sonderkommando, prisonniers juifs affectés au crématoire (lire  le portrait de Georges Didi-Huberman dans le JdA no 463, 16 sept. 2016). De la même manière, la vidéo Remontages de Maria Kourkouta, produite par le Jeu de paume pour l’exposition et placée en préambule, n’est pas sans évoquer, dans ses rythmes contrastés de visions floues et grises de mouvements de personnes, les images du Cuirassé Potemkine de Sergueï M. Eisenstein, l’une des pièces centrales de la réflexion développée dans le dernier livre de Georges Didi-Huberman, Peuples en larmes, Peuples en armes, sixième et dernier volume de « L’Œil de l’Histoire ».

Dès le début, « Soulèvements » se perçoit moins comme une anthologie que comme un récit littéraire transdisciplinaire et transhistorique très personnel sur l’iconographie que ces mouvements ont engendrée du XIXe siècle à nos jours. Le parcours commence avec les gravures des « Désastres de la guerre » de Goya, autrement dit avec l’insurrection espagnole contre l’occupation française à Idomeni, village à la frontière gréco-romaine où Maria Kourkouta a précisément posé sa caméra en mars 2016 et filmé le passage à pied des migrants de Syrie.

Le soulèvement y est appréhendé comme « un mouvement vers le haut, ce que n’est pas forcément la révolte », ainsi que le définit Georges Didi-Huberman, jamais comme un mouvement possiblement réactionnaire. Le langage corporel, les écrits et les slogans retenus en ces lieux expriment ainsi davantage l’énergie du refus de la soumission, le courage, la subversion et sa poétique que l’anéantissement, le chaos, l’effondrement ou l’accablement. Des dessins de Michaux ou de Hugo à L’Espoir du condamné à mort de Miró ou au Diagramme d’un tremblement de terre de Joseph Beuys, il y a en effet de l’allégorie, du lyrisme dans le récit de l’historien de l’art, une dynamique placée sur le registre du sensible, du physique et du visuel.

Un « désir sans fin »
Sur les murs, des phrases courtes forment la trame de son propos construit en cinq chapitres tandis que dialoguent en permanence différents régimes d’images, de textes et de documents. Ainsi, dans la salle où « les éléments se déchirent, le temps sort de ses gonds […] les bras se lèvent… », les Révolutionnaires sur une barricade, projet de frontispice pour Le Salut public (1848), de Gustave Courbet, côtoyent les manifestants anticatholiques de Londonderry saisis par Gilles Caron, et font face aux habitants de Guernica prenant en photo la reproduction du tableau de Picasso et eux-mêmes photographiés par Leonard Freed. Car le soulèvement est « un geste, un désir sans fin » pour Georges Didi-Huberman qu’il pose en puisant autant dans la puissance de l’iconographie et du verbe que dans « l’énergie de nos mémoires émancipatrices ».

Si l’on apprécie la grande diversité des œuvres sélectionnées et le nombre vertigineux de prêts, on peut regretter une littéralité parfois trop appuyée dans la construction du dialogue : le marteau utilisé par Artaud pour marteler sa diction est placé à côté de la première édition du Crépuscule des idoles ou Comment philosopher à coup de marteau de Nietzche, situés tous deux en regard de la vidéo A Glass of Milk (1972) de Jack Goldstein, où un verre de lait est vidé de son contenu au rythme de coups de poing sur la table.

On peut aussi reprocher au commissaire la faible place laissée aux artistes africains ou asiatiques et la dominante de pièces liées à l’Espagne et l’Amérique du Sud, où l’exposition voyagera ensuite. On s’interrogera enfin sur les raisons qui ont amené Georges Didi-Huberman à placer les migrants dans la dernière partie intitulée « Désirs (indestructibles) », car « eux qui traversent les murs » comme il les définit joliment, ont probablement eu pour principal désir de vivre en paix dans leur pays plutôt que de fuir à travers champs.

Soulèvements

Commissaire : Georges Didi-Huberman, philosophe, historien de l’art
Nombre d’œuvres : 282

Soulèvements

Jusqu’au 15 janvier 2017, Jeu de paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris, www.jeudepaume.org, tlj sauf lundi, 11h-19h, mardi jusqu’à 21h, entrée 10 €. Catalogue, coéd. Jeu de paume/Gallimard, 420 p., 49 €

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°469 du 9 décembre 2016, avec le titre suivant : Ce que nous voyons, ce qui nous soulève

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