Très ouvert à la création de son temps, le peintre autrichien n’en a pas moins suivi sa propre voie.

Francfort (Allemagne). Né en Autriche, mais souvent considéré comme un peintre allemand, Carl Schuch (1846-1903) est encore quasiment inconnu en France où il a pourtant vécu de novembre 1882 à mars 1894. Outre-Rhin, il est présent dans les collections muséales, mais le nom de celui que l’historienne de l’art Erica Tietze-Conrat qualifiait en 1929, dans un article de L’Art vivant sur la création autrichienne, de « talent le plus riche de la deuxième moitié du siècle » y est encore confidentiel, alors qu’il a été très célèbre de 1913 à 1945.
Consacré à la manière dont le peintre s’est nourri de l’art français contemporain, le parcours recèle en son cœur un mur présentant les moments importants de sa découverte de nos artistes. De l’exposition des œuvres de l’école de Barbizon de la collection d’Adolf J. Bösch, en décembre 1868 à Vienne, aux dix peintures de Claude Monet contemplées à l’Exposition internationale de peinture inaugurée à la galerie Georges Petit le 15 mai 1885 à Paris, ce sont 24 étapes de ce cheminement qui sont identifiées grâce aux notes et aux lettres de Carl Schuch. On apprend ainsi qu’il remarque Théodule Ribot lors d’une exposition à laquelle lui-même participe, en avril-mai 1869 à Vienne et Gustave Courbet à l’Exposition universelle de 1873, dans la même capitale. Majoritairement peintre de paysages et de natures mortes, Schuch gardera un profond attachement pour ces deux artistes.
Les commissaires, Alexander Eiling, Juliane Betz et Neela Struck, ont réuni 70 œuvres du peintre autrichien mises en relation avec 50 œuvres d’artistes français dans une présentation chrono-thématique. Son entourage artistique est aussi convoqué, notamment à travers des tableaux de son maître Ludwig Halauska et de deux peintres de l’école de Munich rencontrés en 1871, Wilhelm Trübner, qui devint un ami proche, et Wilhelm Leibl. Ami de Courbet, qui avait séjourné et exposé à Munich en 1869, Leibl était un fervent défenseur du réalisme dans lequel il conforta Schuch. Selon Alexander Eiling, les membres de ce qu’on appelait « le cercle de Leibl » « étaient opposés à l’académisme, centrés sur le faire, plus intéressés par le comment que par le quoi ». Ils représentaient la vie quotidienne, peignant « alla prima » et laissant les coups de brosse apparents : une technique dans laquelle Schuch se reconnaissait pleinement.
Héritier d’une famille aisée, l’Autrichien n’avait pas besoin de vendre et n’a exposé qu’au tout début de sa carrière. Il était obsédé par la technique et travaillait inlassablement à des variations de touche et de couleurs inspirées par les traits de génie des autres artistes. À Venise, où il a vécu de 1876 à 1882, il s’enfermait dans son atelier somptueux pour étudier les tableaux de ses amis, Trübner ou Hans Thoma, qu’il y avait apportés. Il courait les marchands et les expositions pour y observer la virtuosité de Manet, la lumière de Monet, le dépouillement de Chardin que l’on venait de redécouvrir. Mais c’est un peintre totalement inconnu des Allemands et très peu des Français qui revient le plus souvent dans ses carnets, Antoine Vollon, dont les paysages et les natures mortes le fascinaient.
Schuch n’imitait jamais, il suivait sa propre voie. « À la même période […], écrit Alexander Eiling dans le catalogue, Cézanne cherchait aussi une réponse à l’impressionnisme – et la trouva dans son propre système de coups de brosse qui ne visait pas à reproduire la nature, mais à créer une “harmonie parallèle à la nature”. […] En 1959, Eberhard Ruhmer affirma que “en Schuch, nous n’avons rien moins […] que le Cézanne allemand”. » D’où les Cézanne présents dans le parcours, alors même qu’aucune preuve n’atteste que l’un a connu ou vu le travail de l’autre. Il n’y a qu’un écueil dans cette exposition de grande qualité : dans la juxtaposition des œuvres de l’Autrichien et des peintres français, il ne faut pas chercher chez l’un l’éclat ou la radicalité des autres. Présentés auprès des siens, un bouquet de Manet ou des pommes de Cézanne peuvent éblouir le regardeur au détriment du beau peintre discret qu’est Schuch.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Carl Schuch, « le Cézanne allemand »





