Art moderne

Bretagne, piété et volupté

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2012 - 723 mots

SAINT-GERMAIN-EN-LAYE

Le Musée départemental Maurice Denis revient sur l’importance de la Bretagne dans l’œuvre du peintre Nabi.

SAINT-GERMAIN-EN-LAYE (YVELINES) - Il y a deux ans et demi, le Musée des beaux-arts de Pont-Aven et le domaine départemental de La Roche-Jagu organisaient une grande exposition conjointe sur le rôle déterminant du petit bourg breton de Pont-Aven dans l’art de Maurice Denis. À Saint-Germain-en-Laye, la Bretagne est une nouvelle fois à l’honneur en la demeure du Prieuré que le peintre avait fait sienne en 1914, et qui abrite désormais un musée à son nom. Répertoriant les thèmes dominants qui traversent l’œuvre bretonne de Denis, l’approche de ces « Regards de Breizh » est d’un spectre plus large que celui de 2009, où l’on s’intéressait surtout au synthétisme. Tandis que les œuvres déclinent les paysages arcadiens, les scènes de genre et les moments intimes, des murs semble résonner un « famille, je vous aime ! ».

Le port d’attache du peintre
Oublions donc Maurice Denis le théoricien des Nabis, le peintre est ici en son pays intime – Loctudy, Binic, le Pouldu, et surtout Perros-Guirec, où il débarque pour la première fois en 1883 en famille, âgé de treize ans à peine. Plus tard, la Bretagne devient sa destination estivale de prédilection, tant il était attiré par les légendes et le mysticisme breton mais aussi par les traditions de la vie locale. Son regard suit de près les fêtes religieuses, les pêcheurs au travail, les femmes vêtues de leurs robes noires et arborant leurs coiffes traditionnelles sur le chemin de l’église… Quoique stylisés, ces portraits rapprochés de villages bretons au tournant du XXe siècle revêtent parfois un aspect documentaire. C’est le cas de Feu de la Saint-Jean à Loctudy (1895) ou encore de la Procession aux étendards (1897), où l’espace est envahi par la toile blanche à croix rouge du drapeau qui flotte au vent. Plusieurs œuvres sont ainsi accompagnées de photographies d’époque représentant les lieux dépeints, dans une intéressante logique topographique.

Silence et repos
Quand il ne s’intéresse pas à la vie villageoise, Maurice Denis se retranche dans ses quartiers, plus précisément à Silencio, villa bâtie par un élève de Viollet-le-Duc qu’il achète en 1908. Un véritable Paradis (1912) avec jardin donnant sur la mer qu’il peuple d’une cohorte d’anges. Plus tard, Denis y fera même intervenir Jésus en personne, en grande conversation avec sa famille, tandis qu’il se positionne en retrait, observant la scène d’un air fasciné (Christ aux enfants, 1910). Le cercle familial est omniprésent, personnifié par une abondance de femmes girondes et de jeunes enfants épanouis. Lorsque les hommes apparaissent sur la plage, ils sont eux aussi des archétypes : musclés, fiers, aux traits interchangeables, étalant leur force physique en courant ou en poussant un bateau dans les flots… Ce lot d’images confortables, baignées d’une lumière tangentielle, exhale un bonheur de vivre très personnel, à croire que Denis peint pour lui-même. La plage bretonne peut aussi se faire nouvelle Arcadie pour le peintre qui y introduit des personnages de la mythologie grecque – Polyphème qui surprend Acis et Galatée ; Ulysse – de la Bible – Tobie ; Lazare – ou de La Légende dorée – Saint-Georges terrassant le dragon. Devenu son terrain de jeu préféré, la Bretagne, sa mer et ses navires, lui inspirera même plusieurs motifs de papier peint stylisé à l’extrême.

Pour étoffer les photographies de famille, où l’on retrouve surtout les enfants du peintre, le parcours de l’exposition invite des documents d’archives prêtés par le musée Albert Kahn (Boulogne-Billancourt). Des photographies et des films tournés au début du XXe siècle pour les « Archives de la planète », saisissant des paysages accidentés, des scènes villageoises et ces fameux pêcheurs au regard profond. Clope au bec, casquette vissée sur la tête et mains dans les poches, ils sont une image d’Épinal à eux seuls.

MAURICE DENIS ET LA BRETAGNE, REGARDS DE BREIZH

Commissaires : Marie El Caïdi, chargée de documentation au musée Maurice Denis ; avec le concours de Claire Denis et Fabienne Stahl, responsables du catalogue raisonné de l’œuvre de Maurice Denis.

Jusqu’au 22 janvier 2012, Musée départemental Maurice Denis, 2 bis, rue Maurice Denis, 78100 Saint-Germain-en-Laye, tél. 01 39 73 77 87, www.musee-mauricedenis.fr, tlj sauf lundi 10h-17h30, 10h-18h30 les samedi et dimanche, 10h-21h le 1er jeudi du mois.
Catalogue, éd. Palantines, 2009, 168 p., 29 euros, ISBN 978-2-35678-033-1

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°360 du 6 janvier 2012, avec le titre suivant : Bretagne, piété et volupté

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