Le Jeu de paume présente la rétrospective de vingt-cinq années d’un regard construit sur la réalité des guerres.

Paris. La dernière monographie de Luc Delahaye (né en 1962) en institution remonte à 2005-2006, à La Maison rouge à Paris. Mais la galerie Nathalie Obadia présente régulièrement les créations du photographe, et ses œuvres sont souvent montrées en France comme à l’étranger dans les expositions portant sur la guerre. L’exposition de La Maison rouge, constituée de dix-sept photographies panoramiques grand format réalisées entre 2001 et 2004 sur la guerre en Afghanistan et en Irak ou le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie, avait marqué les esprits, fait débat et suscité l’intérêt de collectionneurs comme Claude Berri. Elle avait aussi intronisé dans le milieu de l’art contemporain un grand reporter multiprimé, ancien membre de Sipa Press et de Magnum Photos, qui avait rompu quelque temps plus tôt avec la presse. Il n’était néanmoins pas le premier à s’être déclaré artiste après une activité journalistique, ni à produire de grands tableaux photographiques. En matière de représentation de la guerre, Sophie Ristelhueber et Gilles Peress ont été les chefs de file de ce mouvement engagé depuis les années 1980 en France.

Vingt ans après, l’exposition du Jeu de paume frappe tout autant les esprits par son regard porté sur la guerre, le réel et ses états de violence, de résistance et de résilience. La période couverte, de 2001 à 2025, englobe des œuvres déjà exposées et d’autres produites depuis à l’aide de techniques diverses, soit une quarantaine au total sur les 74 retenues par le photographe pour le catalogue raisonné publié dans le cadre de l’exposition. Afghanistan, Irak, Rwanda, Haïti, Cisjordanie, Bosnie-Herzégovine, Calais, Ukraine mais aussi procès de Slobodan Milosevic à La Haye ou salle des marchés du London Metal Exchange : les photos issues de ces séries sont parfois construites à partir d’un photomontage de prises de vue réalisées sur place, d’autres fois mises en scène et assemblées par ordinateur. Mais toutes retiennent l’attention par leur dimension allégorique et leur caractère autonome.

Si le tableau photographique demeure la forme privilégiée, deux pièces produites avec le soutien du Jeu de paume explorent des formes narratives inédites. Il faut prendre le temps de les regarder, du moins pour l’atlas d’images formé par What’s Going On, dont le titre est emprunté à la chanson de Marvin Gaye et qui relève d’un registre très personnel. Cette association de 693 tirages noir et blanc, reproductions de détails de photographies liées à l’actualité internationale ou à des œuvres d’art et publiées par divers titres de la presse anglo-saxonne ou française entre 2006 et 2012, reflète « des obsessions, des choses que j’aime, que je déteste, qui me rendent triste », explique l’artiste.
Pour la seconde, une vidéo couleur intitulée Rapport Syrie, le spectateur aura bien du mal à soutenir son attention pendant sa durée de 25 minutes, du fait de la violence de certaines images extraites de vidéos réalisées par des Syriens et publiées sur Internet en 2011-2012 pour documenter les crimes du régime perpétrés contre la population.
Seul regret : l’absence de la première période relative au photojournalisme, au risque d’entretenir le malentendu, encore perceptible dans la profession, d’un photographe qui tourne le dos à ses origines. Il aurait pourtant été intéressant, pour un public pas nécessairement familier du travail, de recontextualiser ces années 2001-2025 dans son parcours. Pour l’appréhension de l’œuvre dans sa continuité, il faut se reporter à l’entretien de Luc Delahaye avec le critique et historien Michael Fried ainsi qu’au texte de Quentin Bajac, publiés dans le catalogue raisonné. Biographies courtes, textes de salles et cartels développés pour chaque œuvre donnent néanmoins les repères et informations nécessaires à la compréhension de la démarche d’un photographe à la recherche de la forme idoine à donner à la dimension concrète de la guerre et pour qui « le regard est un acte ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°665 du 14 novembre 2025, avec le titre suivant : Avec Luc Delahaye, voir et entendre le monde





