Art moderne

XIXE SIÈCLE

À Auvers, les dernières recherches de Van Gogh

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 25 octobre 2023 - 881 mots

PARIS

Pour la première fois, une exposition d’ampleur présente, au Musée d’Orsay, une grande partie de la production des deux derniers mois de la vie du peintre, ouvrant à de nouvelles orientations plastiques.

Paris. L’Église d’Auvers-sur-Oise (1890) de Vincent Van Gogh (1853-1890) est une icône du Musée d’Orsay. L’œuvre fait partie des sept peintures acquises en 1952 auprès du fils du docteur Paul Gachet, ce médecin auquel Théo Van Gogh avait confié son frère après sa sortie de la maison de santé de Saint-Rémy-de-Provence. Or, l’entrée des œuvres Gachet dans les collections françaises était assortie d’une condition : elles ne pouvaient être prêtées, sauf à un musée consacré à l’artiste qu’aurait créé la famille Van Gogh. Grâce à l’immense travail accompli par Johanna Van Gogh-Bonger, veuve de Théo, pour entretenir la mémoire du peintre, puis à la fondation créée par Vincent Willem Van Gogh, leur fils, cet endroit existe à Amsterdam et fête cette année son cinquantième anniversaire au travers de cette exceptionnelle exposition conjointe avec le Musée d’Orsay. Le Musée Van Gogh d’Amsterdam conserve neuf huiles datant du séjour auversois de l’artiste, dont certaines ne quittent jamais ses cimaises, tel Champ de blé aux corbeaux [voir ill.]. C’est là qu’est habituellement exposé Racines d’arbres, le dernier tableau exécuté avant son décès, le 29 juillet 1890. Le 27 juillet, il était rentré à son hôtel et aurait déclaré à son compatriote, le peintre Anton Hirschig qui en a témoigné : « Allez me chercher le docteur […]. Je me suis blessé dans les champs. Je me suis tiré un coup de revolver, là… »

La thèse du suicide

Du 20 mai 1890, date de son arrivée à Auvers-sur-Oise (Val-d’Oise), au 27 juillet suivant, Van Gogh a réalisé 73 tableaux et 33 dessins connus. L’exposition, la première et sans doute la dernière de cette ampleur sur la période, réunit 48 huiles, 19 dessins et quatre gravures de l’artiste, ainsi que 13 œuvres sur papier d’autres peintres (essentiellement le docteur Gachet qui signait « Paul Van Ryssel »), ainsi que des documents, sous le commissariat de Nienke Bakker et Emmanuel Coquery. Elle offre une médiation notable sur les couleurs, la touche ou encore l’encadrement des œuvres et un dispositif immersif.

Le catalogue recense de manière chronologique toutes les œuvres auversoises connues, illustrées et accompagnées d’une notice. Il comprend un essai de Louis Van Tilborgh, qui s’appuie sur la correspondance du peintre et des avis de psychiatres, pour démontrer que, selon lui, « le désespoir et la douleur ont gagné ». C’est un plaidoyer en creux contre la thèse de l’accident soutenue par Steven Naifeh et Gregory White Smith à la fin de leur biographie du peintre (éd. Flammarion, 2013), thèse selon laquelle un coup de feu serait parti pendant une dispute avec le jeune René Secrétan que Van Gogh n’aurait pas voulu dénoncer.

À Auvers, les motifs retenus par l’artiste sont peu nombreux : sont privilégiés les fermes, les chemins empruntés par les villageois, les jardins et les fleurs. Dans ses peintures, Van Gogh accorde beaucoup de place aux champs qu’il représente le plus souvent déserts, alors que le travail des paysans l’a beaucoup inspiré auparavant. Lorsqu’il arrive, le blé est vert et on le voit devenir jaune à mesure que les semaines passent – cela permet, avec la correspondance, de dater les œuvres. Comme à Arles, il s’adonne aux portraits : ceux du docteur Gachet, de la fille de son aubergiste, Adeline Ravoux – une « symphonie en bleu », dira celle-ci –, d’enfants aux joues rebondies. Il compte les montrer autour de lui pour obtenir des commandes. « Hier et avant-hier,écrit-il à Théo le 28 juin, j’ai peint le portrait de Mlle Gachet […]. Cela a 1 mètre de haut sur 50 de large. […] J’ai remarqué que cette toile fait très bien avec une autre en largeur de blés, ainsi – l’une toile étant en hauteur et rose, l’autre d’un vert pâle et jaune vert complémentaire du rose. »

Influence de l’art japonais

Dans un essai du catalogue, Emmanuel Coquery relie l’ensemble de 13 toiles de format double carré, dont 12 sont présentées à Paris pour la première fois, à une exposition que le peintre envisageait d’organiser. Ces dimensions inhabituelles seraient un rappel des panoramas, en vogue à l’époque, ou des œuvres de Charles François Daubigny (1817-1878), mais, plus sûrement selon lui, un hommage à Inter artes et naturam (1888-1890) de Pierre Puvis de Chavannes. Or, selon Paul Gachet, « le format de Marguerite Gachet au piano a été intentionnellement choisi comme un kakemono[“objet accroché”, NDLR] », et l’on peut aussi penser que les œuvres horizontales se conforment aux proportions des estampes japonaises en triptyque.

L’attachement du peintre à l’art japonais reste profond dans les derniers mois. Dans L’Église d’Auvers, Jardin à Auvers-sur-Oise ou Champ de blé aux corbeaux, il adopte la combinaison de plusieurs points de vue et lignes de fuite comme dans l’ukiyo-e. [« image du monde flottant »]. De même, Racines d’arbres, œuvre presque abstraite, est dans la continuité des Racines (mai 1882), une feuille du Musée Kröller-Müller (Otterlo, Pays-Bas), mais aussi de l’estampe Le Rocher de l’ombre à Hakone de Kawanabe Kyosai dont Vincent possédait un exemplaire : les atouts plastiques du sujet l’interpellaient depuis longtemps. Les nombreuses interprétations psychanalytiques du dernier tableau de Van Gogh ne prennent pas assez en compte le fait qu’au-delà d’être un malade, il restait un artiste.

Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Les derniers mois,
jusqu’au 4 février 2024, Musée d’Orsay, esplanade Valéry-Giscard-d’Estaing, 75007 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : À Auvers, les dernières recherches de Van Gogh

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque