Art moderne

Anni et Josef Albers, un couple à géométrie variable

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2021 - 821 mots

PARIS

Le Musée d’art moderne de Paris accueille une rétrospective riche de 350 œuvres de ce couple d’artistes allemands, l’une réputée pour ses travaux textiles, l’autre pour ses expériences sur la couleur.

Paris. Fabrice Hergott, directeur du musée et fin connaisseur de l’art allemand, explique la faible renommée d’Anni et Josef Albers par un nombre restreint d’expositions dans les institutions françaises. Selon lui, cette situation est due d’une part au « fait qu’ils sont Allemands, ce qui, en France, est longtemps resté une sorte de péché originel » et d’autre part, car « ils se situent géographiquement à cheval entre l’art européen et l’art américain […] et entre deux époques, entre la génération de Piet Mondrian et celle de Jackson Pollock ».

Mais les choses changent. Curieusement, ces dernières années, c’est plutôt Anni Albers (1899-1994) qui est placée sous le feu des projecteurs, grâce à de nombreuses expositions consacrées au textile. Il est probable qu’en dehors de la qualité de cette œuvre, source d’inspiration de nombreuses créatrices, c’est également le parcours impressionnant de l’artiste, qui contribue à sa visibilité. De fait, en 1923, elle intègre l’atelier de tissage du Bauhaus. Difficile de rêver d’un meilleur départ professionnel d’autant qu’elle prend la direction de cet atelier en 1931. En 1934, le couple ayant émigré aux États-Unis, elle est nommée professeure assistante au célèbre Black Mountain College, école mythique, considérée comme le lieu de naissance de l’avant-garde américaine. Enfin, elle a droit, au MoMA de New York, à la première exposition (en 1949) d’un designer textile.

« Hommage au carré », le grand œuvre de Josef Albers

Le parcours de son mari n’est pas moins prestigieux. Passé également par le Bauhaus et le Black Mountain College, il finit sa carrière comme président du nouveau département de design à l’université de Yale. Sans doute, l’histoire de l’art accorde à Josef Albers (1888-1976) une place importante grâce à sa production plastique, mais aussi grâce à ses écrits théoriques, dont L’Interaction des couleurs (1963), un ouvrage fondamental sur la perception des couleurs. Pour le grand public, toutefois, la méconnaissance d’une grande partie de sa production plastique est due à ce que l’on peut nommer le syndrome d’une œuvre incontournable. Comme Le Cri d’Edvard Munch ou Carré noir sur blanc de Kasimir Malevitch qui projettent une ombre sur l’ensemble de leurs travaux, le patronyme de Josef Albers reste le synonyme de l’« Hommage au carré ». Rien d’étonnant, car cette série interminable, commencée en 1950, comporte quelque 2 000 toiles de même composition simple, où ne varient que les couleurs. Le grand mérite de l’exposition est de couvrir l’ensemble des carrières, individuelle et commune, du couple – peintures, photographies, œuvres graphiques et textiles, ainsi qu’une sélection de mobilier – et de mettre en scène leur dialogue artistique.

Expérimenter la matière et la couleur

Les premières pièces réalisées par Josef Albers sont des assemblages de vitraux et de peintures murales (Fensterbild, 1921). Pendant ce temps, Anni Albers, malgré les principes libéraux du Bauhaus, se voit obligée de pratiquer le tissage. Rapidement, cette technique la fascine et lui permet d’explorer les couleurs par la superposition de bandes verticales. La taille de certains de ses travaux montre un intérêt pour l’architecture, comme l’indique le titre d’une de ces pièces monumentales, Wallhanging (1925). Les deux artistes expérimentent des variations à partir d’une grille, dans un style plus ferme chez Josef et plus souple chez Anni.

Le premier étudie comment « un plan bidimensionnel d’une figure géométrique peut basculer pour former une figure spatiale complexe », écrit Julia Garimorth, commissaire de l’exposition. Elle ajoute que « ces études […] anticipent les illusions spatiales que Josef inventera dès 1942 avec les “Graphic Tectonics”, puis, à partir de 1955, avec les “Structural Constellations” ». Anni, qui privilégie les sensations tactiles et l’apprentissage des matériaux, déclare : « Je pense qu’il faut laisser le matériau vous montrer le chemin. » Considérant le textile comme une matière expérimentale, alternant les reliefs et les motifs plats, faisant appel à une infinité de teintes, l’artiste obtient de magnifiques polyphonies chromatiques (Six Prayers, 1965-1967). Au fur et à mesure que sa pratique s’enrichit, ses réalisations sont souvent conçues comme des objets d’art à part entière – elle les nomme “Pictorial Weawings” [Tissage Pictural] – et ne sont plus destinées à l’usage quotidien ou à la production industrielle.

La fascination du couple pour la culture précolombienne est moins connue. Si cette attirance pour le passé n’influence pas la production plastique de Josef, les bijoux créés par Anni sont inspirés par le trésor découvert dans le tombeau du site archéologique mexicain d’Oaxaca.

Inévitablement, ce face-à-face très complet entre deux artistes différents mais complémentaires réserve une place de choix à l’opus magnum de Josef Albers : « Hommage au carré ». Alignées parfaitement, les dizaines de toiles sont, sans doute, moins chatoyantes que celles d’Anni. Pour autant, le spectateur qui ralentit ses pas, ne peut qu’être subjugué par ces nuances qui se déploient et qui vont du gris évanescent au rouge incandescent. Avec cette série, le minimalisme pointe déjà.

Anni et Josef Albers, l’art et la vie,
jusqu’au 9 janvier 2022, Musée d’art moderne de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°574 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Anni et Josef Albers, un couple à géométrie variable

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