Allemagne

Alexander Girard, chantre de la couleur

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 6 juillet 2016 - 921 mots

Le Vitra Design Museum réévalue l’œuvre riche et colorée du designer et architecte d’intérieur, qui dans les années 1960 révolutionna l’esthétique d’une compagnie aérienne.

L’histoire du design américain de l’après-guerre l’aura étonnamment négligé, sinon laissé dans l’ombre de ses amis plus notoires, tels Eero Saarinen ou le couple Eames, Ray et Charles, stars des fifties. Sous-estimé et pourtant actif dans nombre de domaines – mobilier, textile, architecture intérieure, graphisme… –, Alexander Girard (1907-1993) est l’auteur d’une œuvre, certes moins connue mais néanmoins passionnante. C’est ce qu’évoque à l’envi le Vitra Design Museum de Weil am Rhein (Allemagne), à travers une exposition intitulée « Alexander Girard, l’univers d’un designer » et joyeusement mise en scène par le duo londonien Yael Mer et Shay Alkalay, alias « Raw Edges ».
Le visiteur découvre un homme qui, très jeune, baigna dans la culture européenne. Né à New York d’une mère américaine et d’un père franco-italien, il grandit à Florence où il fréquente, entre 1917 et 1924, une institution britannique, la Bedford Modern School, et se passionne pour le théâtre et ses mondes imaginaires, ainsi que pour la Renaissance italienne. On pourra ici admirer une aquarelle de la ville de Florence ou d’autres pour des costumes du ballet Africana. Ces références transalpines originelles, l’architecte d’intérieur les conservera sa vie durant, allant même jusqu’à signer ses dessins d’un prénom qui fleure bon l’Italie : « Sandro Girard ».

En 1924, Alexander Girard rejoint la célèbre Architectural Association, à Londres, pour y suivre des études d’architecture d’où il sortira diplômé en 1929. Trois ans plus tard, il décide de retourner dans sa ville natale pour s’y établir en tant qu’architecte d’intérieur et débuter une activité qui se révélera prolifique, entre commandes de particuliers, restaurants et magasins. Quel que soit le projet, le détail est d’une extrême qualité chez Girard. Ainsi du restaurant La Fonda Del Sol (1960), à New York, dont est exhibée une multitude d’objets, set de table, vaisselle, couverts, menu, et en particulier ces carafes aux lettrages toniques.
 
Braniff relookée
De la petite cuiller à l’aménagement intérieur, sa vision est globale. Ce qui l’amènera, en 1965, à œuvrer pour une compagnie aérienne, la Braniff International, basée à Dallas (Texas), et ce pour un projet important : l’identité visuelle globale de la firme, depuis les billets d’avion jusqu’aux aéroplanes, en passant par les costumes des personnels navigants ou les lounges des aéroports. On peut voir ici des tenues d’hôtesses de l’air du styliste Emilio Pucci mises en nuance par Girard, ainsi que moult documents de communication aux graphismes bariolés : « La couleur est sexy, disait le designer. Elle taquine, elle trouble. » Ainsi, la destination Mexico était jaune ; Miami, rose ; Rio, rouge, et les livrées des avions suivaient, depuis la cabine de pilotage jusqu’à la queue. Fantastique panoplie arc-en-ciel !
Coloriste infatigable et expert ès tissus, Alexander Girard est nommé, en 1951, par le célèbre éditeur de mobilier américain Herman Miller, directeur de sa nouvelle division textile. Au cours des vingt années suivantes, le designer ne créera pas moins de 300 modèles pour les rideaux et l’ameublement, aux motifs végétaux ou géométriques, stylisés ou typographiques. Le visiteur pourra en contempler quelques-uns, comme Stones ou Collage, dans une salle entièrement consacrée à cette activité.

Intérêt pour les arts populaires

Alexander Girard était, en outre, un fieffé collectionneur, en particulier de jouets. Du début des années 1930 aux années 1980, il avait ainsi réuni plus de 100 000 artefacts provenant d’une centaine de pays, un fonds aujourd’hui coonservé au Museum of International Folk Art de Santa Fe (Nouveau-Mexique), la ville où le designer s’installa à partir de 1953. Clou de l’exposition, se déploie, au premier étage, une vitrine emplie de poupées japonaises, masques mexicains et autres crèches péruviennes ou guatémaltèques. Une partie de ses influences stylistiques provient à n’en point douter de cet intérêt profond pour les arts populaires. En témoigne cette fameuse série de poupées en bois rigolotes baptisées avec humour Gloomy (« Ténébreux »), Snotty (« Prétentieux »), Goopy (« Collant »), Prissy (« Collet monté ») ou Fraidy (« Trouillard »).

Girard

Commissaire de l’exposition : Jochen Eisenbrand, conservateur au Vitra Design Museum
Scénographie et graphisme : Raw Edges

Un bâtiment comme une maison

Ouvert le 3 novembre 1989, le Vitra Design Museum construit par l’architecte américain Frank Gehry était devenu trop petit pour montrer à la fois sa collection, déjà importante et en augmentation constante, et des expositions temporaires. L’institution se dote aujourd’hui d’un nouveau bâtiment, inauguré le 3 juin, et érigé par le tandem helvète en vogue Jacques Herzog et Pierre de Meuron. Son nom : Schaudepot, du verbe allemand Schau qui signifie « regarder » et du nom « dépôt ». La forme de l’édifice est élémentaire : des murs, en briques brisées, et un toit à double pente. Surface totale : 1 600 m2. Le fonds, lui, se compose actuellement de 100 000 archives et de quelque 7 000 meubles et objets datant de 1 800 à nos jours, des pièces représentatives de presque toutes les époques phares du design et de ses protagonistes : de Verner Panton à Tejo Remy, de Gerrit Rietveld à Ettore Sottsass, de Luigi Colani à Marc Newson.
Au rez-de-chaussée, dans l’espace principal éclairé par une batterie de tubes luminescents, se déploie, chronologiquement, une riche exposition permanente, constituée de 410 pièces environ. Ces dernières sont alignées consciencieusement sur de vastes rayonnages de métal et de verre. Au sous-sol se répartissent les réserves, thématiques, dont certaines sont visibles à travers de judicieuses baies vitrées, et un « laboratoire » qui fournit moult informations sur les matériaux et les techniques. S’y trouve également le bureau original de Charles Eames, don du designer américain au Vitra Design Museum.

Alexander Girard, A designer’s universe

jusqu’au 29 janvier 2017, Vitra Design Museum, Charles-Eames-Straße 2, Weil am Rhein, Allemagne, tél. 49 7621 702 32 00, www.design-museum.de, tlj 10h-18h, entrée 11 €. Catalogue, 512 p, 530 ill., 69,90 €.

Légende Photo :
Alexander Girard, design d'ensemble pour la Braniff International Airways, 1965. © Photo : Succession Alexander Girard, Vitra Design Museum.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Alexander Girard, chantre de la couleur

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque