À Paris

7 clefs pour comprendre le néon dans l'art

Du 17 février au 20 mai 2012

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 26 janvier 2012 - 1532 mots

À Paris, la Maison rouge, Fondation Antoine de Galbert, illumine ses cimaises d’une exposition qui retrace l’utilisation du néon dans l’art depuis les années 1950. Histoire d’un « tube »…

1- Et Georges Claude créa, en 1911, le tube de néon

L’histoire n’est pas seulement injuste, elle est oublieuse. Alors que nul n’ignore la formidable révolution qu’a provoquée Thomas Edison en inventant l’éclairage domestique, qui se souvient du nom de Georges Claude ? Voilà pourtant tout juste plus de cent ans qu’il a déposé, en 1911, le brevet commercial des tubes fluorescents et que son invention du néon a radicalement métamorphosé le paysage nocturne de nos villes.

Si l’avènement de la fée électricité n’a été artistiquement célébré à Paris qu’en 1937 par Raoul Dufy à l’occasion de l’Exposition internationale des arts et techniques, László Moholy-Nagy n’a pas attendu cette date pour prophétiser que les jeux de lumière des éclairages nocturnes des grandes villes constituaient « un champ d’expression » qui ne tarderait pas à trouver « ses artistes ». De fait, c’est à la fin des années 1940 que l’Italien Lucio Fontana va s’y appliquer en créant d’immenses arabesques de néons, comme autant de figures libres dans l’espace, qu’il installe en fonction des lieux pour créer ce qu’il appelle une « ambiance spatiale ». Dès lors, le feu vert était donné et les artistes n’ont plus cessé depuis d’en faire usage, comme ici Nathalie Brevet et Hugues Rochette, en 2004.

2- Le néon, pour Nauman, une matière à réfléchir

Si Dan Flavin est l’un des tout premiers à avoir intégré dans ses œuvres, dès le début des années 1960, des tubes fluorescents pour s’en faire par la suite une marque de fabrique, les artistes de l’art minimal sont très nombreux à avoir utilisé le néon aux fins les plus diverses. Il en est ainsi de Bruce Nauman, né en 1941 à Fort Wayne (États-Unis), qui commence par enrouler des spirales de toutes les couleurs, puis affiche des suites de mots, des anagrammes et des rébus. Ce faisant, il emploie toutes les possibilités du néon à la réalisation de travaux qui cherchent à repousser les frontières de l’art et à susciter chez le spectateur un questionnement sur les contradictions inhérentes à la condition humaine et aux absurdités de la société. My Name as Though It Were Written in the Surface of the Moon, daté de 1968, est à mettre au compte d’une réflexion sur le langage dans un contexte qu’anime la conquête de nouveaux espaces. La façon qu’il a d’écrire ici son prénom en multipliant les lettres qui le composent pour lui donner une dynamique n’est pas sans rappeler les « mots en liberté » de Filippo Tommaso Marinetti, le célèbre théoricien du futurisme.

3- Chez Morellet, le tube se plie aux exigences de l’artiste

S’il est un artiste qui sait composer avec le néon comme un peintre avec ses pigments, c’est assurément François Morellet. Né à Cholet en 1926, il a été l’une des figures les plus actives du GRAV, le Groupe de recherche d’art visuel, qui, dans les années 1960, a multiplié les expériences avec les différentes utilisations de la lumière : projections, rayons de lumière en mouvement, reflets de mobiles translucides, installations avec lumières rasantes, etc. Morellet n’a pas son pareil pour plier le néon à ses exigences – figures géométriques, serpentines ou verbales – et nul mieux que lui ne sait en jouer pour en établir toutes sortes de compositions visuelles et ludiques. 10 tubes de néon au hasard n° 4 (d’après 15088) de 2008 procède d’une règle de jeu posée par lui, comme il aime à s’en inventer, et qui lui permet de la décliner à son bon gré et suivant sa bonne humeur, en toute liberté et en roue libre. Industriel, le néon trouve chez Morellet une parfaite et sublime justification, car le principe de la série, dans laquelle l’artiste évolue avec délices, est naturellement consubstantiel à ce matériau. 

4- L’hommage fluorescent de Nannucci à la peinture

Des relations entre le langage, l’image et la réalité, Maurizio Nannucci a fait son pré carré depuis le début des années 1960, adhérant sitôt leur émergence aux différents questionnements des avant-gardes dites minimales et conceptuelles. Dès 1967, ce Florentin d’origine, né en 1939, a exploité les qualités plastiques du tube de néon dans un travail d’installation mettant en jeu tant l’écriture que la couleur et l’espace. Intitulée Who’s Afraid of Red Yellow and Blue ?, cette création de 1970 trouve pleinement sa place dans toute une production qui s’interroge sur la fonction et la nature de l’œuvre d’art, une question que se pose cette époque, portée qu’elle est notamment par la pensée structuraliste.
 
Mais l’œuvre de Nannucci fait surtout écho à celle pareillement titrée de Barnett Newman, que le peintre avait réalisée en 1966-1967, à Amsterdam, sous la forme d’une grande peinture murale. Hommage ou pirouette plastique à l’endroit de son aîné ? Sans doute les deux à la fois en même temps qu’une façon réflexive, mais non moins picturale et ludique, de traiter des trois couleurs primaires.

5- Les couleurs vivantes de Martial Raysse

S’il compte parmi les signataires, en octobre 1960, de la déclaration constitutive du Nouveau Réalisme, Martial Raysse, né en 1936 à Golfe-Juan (06), s’en est toujours distingué par l’intérêt qu’il a porté au pop art. À l’instar du mouvement américain, dont l’art en appelait à des aplats colorés unis, Raysse était alors davantage enclin à exploiter les qualités plastiques de matériaux lisses, voire non usagés, pour ce qu’ils étaient l’emblème de la société de consommation naissante. Dans cette qualité-là, il fut l’un des premiers à intégrer dans ses œuvres le tube fluorescent coloré, considérant que le néon était « la couleur vivante, une couleur par-delà la couleur ». Il l’a surtout employé comme un matériau idéal lui permettant de souligner le galbe de certaines formes, comme la bouche ou les yeux, ou de transformer l’apparence visuelle de figures préexistantes pour nous en offrir une vision rénovée, comme dans différents remakes de tableaux d’Ingres. Son utilisation l’assurait ainsi d’une « hygiène de la vision », formulation esthétique qu’il revendiquait pour définir son art.

6- Jean-Michel Alberola, un rien lumineux…

Féru de peinture ancienne, comme d’art primitif et d’art moderne, il a tout d’abord articulé son travail de peintre autour d’un certain nombre de mythes fondateurs, qu’il s’agisse de tableaux, comme Suzanne et les Vieillards ou Le Bain de Diane, sinon de figures de référence, comme les deux Marcel, Duchamp et Broodthaers. Ouvert à toutes les expériences plastiques, Jean-Michel Alberola, né en 1953 à Saïda, en Algérie, dit vouloir « tirer la peinture vers le haut et la rendre légère comme une plume, sensible au moindre souffle du cœur, en attente de fracture ».

Faite d’un simple trait continu de néon de couleur, Rien (1994) est une œuvre proprement étonnante pour ce qu’elle dessine l’image simplifiée d’un crâne, à l’égal des vanités du temps passé, en s’informant à partir des quatre lettres qui composent ce mot. Le pouvoir irradiant de la couleur-lumière offre à l’idée de vacuité qu’elle sous-tend un espace singulier, paradoxalement flamboyant. Il y va finalement d’un « rien » quasi solaire, que l’emploi du néon et sa palpitation gazeuse chargent d’attente, d’énergie et de chaleur communicantes.

7- Les subtiles machineries de Miri Segal

Issue du monde scientifique, Miri Segal, née en 1965 à Haïfa (Israël), développe un art qui joue de « la déconstruction et de la reconstruction de machineries subtiles et savantes » (Bernard Blistène) qui obligent le regardeur à remettre en question ses habitudes perceptives. Les dispositifs qu’elle invente en appellent volontiers à toutes sortes de procédures et de matériaux qui interrogent notamment les relations entre langage, image et son. Comme chez nombre d’artistes de sa génération, le recours au néon est récurrent dans son travail et elle l’utilise pour ses qualités propres à prendre forme dans des écritures dont elle déjoue les pleins et les déliés et, par voie de conséquence, leur lisibilité. Reprenant à son compte la célèbre formule de Mai 68, son œuvre intitulée Sous les pavés, la plage s’offre ainsi à voir dans un renversement réfléchissant de lecture. Arrimée au mur, à l’envers, l’expression vient se refléter dans une plaque de verre simplement posée sur une structure en bois située en dessous, instruisant un espace virtuel qui opère en métaphore de son contenu.

Autour de l'exposition

Infos pratiques. « Néon. Who’s Afraid of Red Yellow and Blue », du 17 février au 20 mai 2012. La Maison rouge – Fondation Antoine de Galbert. Ouvert du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h. Le jeudi jusqu’à 21 h. www.lamaisonrouge.org
Éclairage artistique public. Depuis 2006, le projet Néons, initié par le Fonds d’art contemporain cantonal, a permis aux artistes de réinvestir la Plaine du Plainpalais à Genève en Suisse. Chaque année, deux œuvres néon sont sélectionnées à la suite d’un concours ouvert à l’international puis sont fixées sur le toit des immeubles du quartier. Au mois de mars 2012, trois nouvelles œuvres compléteront l’installation : celles de Veronica Janssens, de Pierre Bismuth et Christian Robert-Tissot, commande de la ville passée à l’artiste. Le message lumineux habituellement publicitaire devient message artistique. Les « œuvres-enseignes » resteront ainsi visibles pendant dix ans.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°643 du 1 février 2012, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre le néon dans l'art

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