7 clefs pour comprendre la figuration en 1950

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 27 septembre 2007 - 1300 mots

Entre inquiétude existentielle et bonheur d’être, émerge, après la guerre, une génération d’artistes appelée Jeune Peinture figurative qui comprend notamment misérabilistes et réalistes parnassiens.

L’humain après la barbarie nazie
Si la vitalité d’une époque se mesure aux polémiques qui la déchirent, alors les années 1950 n’en manquèrent pas. Outre celles qui opposèrent Sartre à Camus et l’anthropologue Lévi-Strauss au sociologue Gurvitch, la rivalité entre les tenants de l’abstraction et ceux de la figuration reprit de plus belle.
La guerre avait quasi interrompu tout débat et on aurait pu craindre un moment pour l’avenir d’une peinture sans sujet parce qu’elle n’avait pas eu le temps de s’instituer. Mais c’était mésestimer ses appuis théoriques. Aussi, en réaction, la peinture figurative s’inventa-t-elle une nouvelle génération impatiente de faire la démonstration de la pérennité d’un mode qui avait encore beaucoup à dire et
qu’encourageait l’exemple d’un Picasso.
Il s’agissait dans ce contexte de survivance humaniste d’affirmer une image de l’homme face à la barbarie. Forte des ouvertures des avant-gardes du début du XXe, la Jeune Peinture figurative s’appliqua à les réinvestir non de façon univoque, mais dans des directions diverses et variées. 

Derrière la figure, les sujets universels
Renouant avec une tradition séculaire pour le moins bousculée par les avant-gardes des années 1910, la Jeune Peinture figurative reprend volontiers à son compte la partition en genres dont la peinture s’est dotée. Au risque de paraître réactionnaire, sinon académique, ce qui ne manquera d’ailleurs pas de se trouver pour certains artistes.
Mais, en dépassant la dimension purement narrative et temporelle des sujets traités et en leur prêtant des accents universels, la plupart d’entre eux ont réussi à transcender cette prise de position. En faisant, par exemple, de l’autoportrait la figure inquiète de l’homme face à son destin ; en se servant du portrait de groupe pour aborder la question de la socialité ; en usant de la nature morte pour poser celle des condi­tions économiques d’un pays en souffrance.
Sans jamais céder aux sirènes idéologiques d’un engagement militant, les artistes de la Jeune Peinture figurative développent un art qui veut s’inscrire dans le continuum d’une histoire, tout en la nourrissant de l’épreuve traversée. 

L’expressionnisme, un style non assumé
« Ce que je cherche avant tout est l’expression », proclamait Matisse en son temps. Ce disant, s’il revendiquait une forme appuyée d’individualisme et de subjectivisme, il ne se considérait pas pour autant comme un artiste « expressionniste », le terme étant lié à l’histoire de l’art allemand du début du XXe.
Après la guerre, la peinture qualifiée comme telle, abstraite ou figurative, s’impose comme l’esthétique dominante. Question de style plus que de groupe, car les artistes des années 1950 refusent de se ranger sous une telle bannière : le mot n’a pas bonne presse. Si Bernard Lorjou (né en 1908) le rejette avec force, son œuvre n’en présente pas moins toutes les qualités : la façon qu’il a d’utiliser la couleur dans toute sa crudité y est au service déclaré de l’expression. De même chez André Minaux (né en 1923) ou Paul Aïzpiri (né en 1919). Plus nuancé chez Paul Rebeyrolle (né en 1926) ou Richard Bellias (né en 1921), l’expressionnisme en appelle à des effets de matière qui sont parfois le résultat de l’usage d’une peinture au couteau. 

Les misérabilistes, ces écorchés vifs !
Dans les surlendemains de la Seconde Guerre mondiale, encore fortement remués par la terrible épreuve, émerge donc en France un courant pictural qui témoigne de la misère de la condition humaine. Le terme de misérabilisme qui lui est attribué vise à caractériser tant l’iconographie dont il est le vecteur que le traitement plastique de cette dernière.
La vision assombrie et déformée de la réalité qui marque le style des peintres misérabilistes excède les thèmes de solitude, de tristesse et de pauvreté qui sont les leurs. Figures de proue de ce courant, Bernard Buffet (né en 1928), Jean Jansem (né en 1920), Claude Weisbuch (né en 1927) et Françoise Adnet (née en 1924) usent d’une écriture écorchée, voire griffée, qui semble vouloir inscrire encore plus profondément dans la matière picturale les stigmates d’une telle situation.
Volontiers aplaties et filiformes, leurs figures offrent à voir un aspect étique qui fait écho tant au questionnement fondamental sur l’existence tel que l’aborde Jean-Paul Sartre dès 1946 qu’à cette douloureuse « difficulté d’être » dont parle Jean Cocteau en 1947.

Les peintres dits de la synthèse
Utilisée à l’adresse d’un petit groupe d’artistes dont les œuvres procèdent d’une forme rassemblée et décantée des deux grandes tendances fauve et cubiste d’un art 100 % français, l’expression « peintres de la synthèse » a été employée par une certaine critique et par certains marchands. Si elle ne qualifie aucun groupe constitué, encore moins une quelconque intention théorique, cette expression acte en revanche l’influence dans la durée qu’ont exercée les deux mouvements de l’art moderne.
Pour l’essentiel défendue par les galeries Berri-Lardy, Jacques Ratier et Camille Renault, cette tendance est le fait d’artistes comme Jean Marzelle (né en 1916), Camille Hilaire (né en 1916), Marcel Mouly (né en 1918) et Jean Chevolleau (né en 1924). Outre une prédilection pour des sujets de proximité – dont les portraits et les natures mortes –, leur point commun est une palette chatoyante et un certain intérêt pour la structure et la composition.
Partagés entre respect de la tradition et goût pour les avancées les plus informelles, les peintres de la synthèse balancent tout autant entre attachement au réel et abandon à l’imagination.

Le réalisme parnassien
Sous ce label – qui renvoie en même temps à l’idée d’une peinture contingente et à celle du principe de l’art pour l’art – se retrouvent des peintres qui sont issus des ateliers de Maurice Brianchon et de Marcel Gromaire, enseignants à l’École nationale supérieure des arts décoratifs. Si le réalisme donne en poésie le Parnasse, en peinture le réalisme parnassien s’appuie sur le pur et simple plaisir de peindre.
Poètes à leur manière, des artistes comme Guy Bardone (né en 1927), René Genis (né en 1922) et Paul Guiramand (né en 1926) ne connaissent qu’un seul culte : celui de la beauté. Pour eux, l’artiste ne doit avoir qu’un seul souci, celui de la belle forme qui doit être impeccable, et pour conqué­rir la beauté il ne doit rien négliger, ne rien laisser au hasard : le travail de la forme et les recherches techniques sont donc essentiels.
Défendus par le critique d’art Georges Besson dans Les Lettres françaises – on parle de la « bande à Besson » –, les réalistes parnassiens offrent à voir une image joyeuse et diverse de la figure, aux antipodes des misérabilistes.

Salon des témoins de leur temps
Dans la tradition inaugurée par les impressionnistes en 1874, de très nombreux salons autogérés par les artistes eux-mêmes ont vu le jour dans l’immédiat après-guerre. Il en est ainsi du Salon de mai, du Salon des réalités nouvelles, du Salon de la jeune peinture, du Salon du dessin et de la peinture à l’eau, du salon « Comparaisons »… et du Salon des peintres témoins de leur temps, accueilli par le musée Galliera. Sans doute le salon le plus populaire de tous.
Les thèmes qui y étaient traités : « le dimanche », « le bonheur », « les conquêtes de la science moderne », « l’âge mécanique », « la jeunesse », etc., quoique semblant rétrospectivement tout droit sortis du cerveau de Bouvard et Pécuchet, ne manquaient pas de répondre à l’attente positiviste d’une population qui voulait oublier les malheurs passés.
Être un peintre témoin de son temps ne veut pas dire seulement de l’actualité de son époque, mais aussi de ses espoirs et de son avenir. Très vite, ce salon s’imposa tout à la fois comme un passage obligé et le lieu d’une consécration.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Années 1950, l’alternative figurative », jusqu’au 28 octobre 2007. Commissariat”‰: Nathalie Roux et Éric Mercier. Musée d’art Roger-Quilliot, place Louis-Deteix, Clermont-Ferrand. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs”‰: 4,20 € et 2,70 €. Tél. 04”‰73”‰16”‰11”‰30.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°595 du 1 octobre 2007, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre la figuration en 1950

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