Art contemporain

6 clés pour comprendre Cy Twombly

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 21 novembre 2016 - 1008 mots

Le Centre Pompidou crée l’événement en inaugurant ce mois-ci une rétrospective du plus européen des grands peintres américains. À cette occasion, L’Œil vous donne quelques clés pour comprendre l’homme et l’œuvre.

L’homme

Ceux qui l’ont connu se souviennent sans doute de sa haute stature, de sa gentillesse et de cette force irrésistible qui émanait de son individu. Souvent tout habillé de blanc, il présentait tous les traits d’une figure impériale, sans en afficher aucune superbe. Bien au contraire, Cy Twombly (1928-2011) était resté quelqu’un de discret, voire d’humble, d’un abord simple, attentif à l’autre dont il savait qu’il pouvait toujours apprendre quelque chose qui le nourrirait. À la différence de ses compatriotes pop artistes qui participèrent à l’illustration de l’american way of life, il préféra développer son art dans un dialogue au jour le jour avec les grands mythes d’une histoire universelle considérant l’homme comme un être tout à la fois pensant et sensible. Son goût marqué pour l’écrit et la littérature l’a ainsi conduit à élaborer les termes d’une esthétique humaniste, tout à fait personnelle, que caractérise une manière d’être là dans un rapport quasi existentiel au monde.

Rome

S’il était citoyen américain, Cy Twombly avait fait le choix de vivre en Italie. À Rome, exactement. Il s’y était installé alors qu’il n’avait pas encore 30 ans. Il habitait au premier étage – l’étage noble – de l’une de ces superbes bâtisses qui font la splendeur de l’architecture romaine, à deux pas du palais Farnèse. Son appartement, qui en faisait le tour, était composé d’une succession de pièces plus ou moins vastes, toutes hautes de plafond, rythmée par l’installation, dans le passage de l’une à l’autre, d’une sculpture antique perchée sur un socle. Tout du long du parcours étaient posées au sol des toiles de l’artiste, retournées contre le mur, de sorte qu’il en résultait cette étrange impression d’un espace en transit. Un espace vide et immaculé. Les niches des murs de la salle à manger étaient ainsi occupées par tout un lot de sculptures aux formes élémentaires, en bois peint en blanc. Quelque chose d’une atmosphère de paix et de silence régnait chez Cy Twombly, façon luxe, calme et volupté.

Écriture griffée

La qualité de graffiti que présente l’œuvre de Cy Twombly est indéniable. Aussi, nombre de commentateurs ont placé l’artiste en figure tutélaire de toute une production graphique telle qu’elle s’est développée depuis une trentaine d’années, Jean-Michel Basquiat en tête. Il y va en fait tout à la fois d’une question d’identité et d’une posture esthétique en relation avec la notion de geste propre à sa génération, ainsi qu’à celle du langage. Le rapport de l’artiste à l’écriture demeure toutefois dans un « champ allusif » – comme l’a noté Roland Barthes – en ce sens qu’elle n’est pas pour lui un moyen de formuler une quelconque narration, mais qu’elle est au contraire comme un vecteur stimulant à la quête d’un ailleurs. « L’art de Twombly – c’est là sa moralité – et aussi sa grande singularité historique – ne veut rien saisir, écrit le philosophe ; il se tient, il flotte, il dérive entre le désir – qui, subtilement, anime la main – et la politesse, qui est le congé discret donné à toute envie de capture. »

Le mythe

L’art de Cy Twombly est requis par le mythe. La naissance de Vénus, le combat amoureux du cygne et de Léda, d’Amour et de Psyché, de Vénus et de Mars, les figures d’Orphée, de Galatée, d’Adonis et d’Apollon, etc., sont au programme iconographique d’une œuvre qui prend ses sources dans le passé. Qui ne cesse de se nourrir de la relation de ces récits, lesquels fondent la part sublime de l’humain quand il se prend pour un dieu. Homère, Théocrite et Virgile, Spenser, Mallarmé et Rilke sont, parmi d’autres, les familiers du peintre : il les a rencontrés, il dialogue avec eux, il les tutoie. Les grands mythes, la poésie, la culture classique sont les terrains de jeu privilégiés d’un artiste qui joue volontiers du primitif, du rituel et du fétiche.

Cycles et séries

Souvent d’un imposant format, les œuvres de Cy Twombly se déclinent en cycles et en séries dont le déploiement accapare l’espace de leur présentation. Qu’il s’agisse de l’ensemble intitulé School of Athens du début des années 1960, de celui des Fifty Days at Iliam (1978), basé sur la traduction de l’Iliade par Alexander Pope et installé de manière permanente en 1989 au Musée de Philadelphie, ou des « Quattro Stagioni » (1993-1994) du MoMA à New York, il y va chaque fois de la volonté d’immerger le regardeur dans la peinture. L’artiste joue de densités, de réserves, de mouvements et d’effluves, mêlant ou noyant dans la matière picturale les mots qu’il inscrit en surface. Le principe sériel (qu’il exploite pareillement dans ses photographies) est pour lui l’occasion de déjouer les contraintes du champ iconique pour mieux faire mettre en valeur l’ampleur et le continuum d’une pensée qui se déroule dans le temps et dans l’espace. L’œuvre de Cy Twombly est porteuse d’une énergie interne en éloge à la vie. 

Une peinture du jouir

Plastiquement parlant, une œuvre de Twombly s’offre à voir comme l’image d’un incroyable imbroglio de traits, de lignes, de chiffres et de mots qui n’est autre que le fait de toutes sortes de griffures, d’éclaboussures et de projections. Commis dans l’urgence de leur apparition, ces signes et ces taches aux allures parfois de véritables éjaculations témoignent de l’extrême jubilation de l’artiste à l’œuvre, d’autant qu’elle en appelle à une iconographie souvent sexuée. Quelque chose d’une jouissance fondamentale constitue le vecteur cardinal de chacune de ses compositions, soulignant le rapport d’Éros et de Thanatos à la création tout en même temps que l’indépendance absolue du fait pictural. « Chaque trait est habité de sa propre histoire dont il est l’expérience présente, dit l’artiste ; il n’explique pas, il est l’événement de sa propre matérialisation. » D’où la qualité incarnée de sa peinture, ce rapport à fleur de peau qu’elle suggère et cette incroyable sensualité qui la caractérise.

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°696 du 1 décembre 2016, avec le titre suivant : 6 clés pour comprendre Cy Twombly

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