Art moderne

5 clés pour comprendre De Stijl

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 23 mai 2017 - 1214 mots

PAYS-BAS

En 2017, les Pays-Bas fêtent en grande pompe le centenaire de la naissance de De Stijl, le groupe qui, formé autour de Mondrian, Van Doesburg et Rietveld, a changé l’art, l’architecture et le design des XXe et XXIe siècles…

1- LA REVUE DE STIJL

Neutres à l’orée de la Première Guerre mondiale, les Pays-Bas n’en restent pas moins actifs sur le plan artistique. À l’heure où se manifestent une soif de renouveau et un fort désir de modernité, un homme, Theo Van Doesburg (1883-1931), tout à la fois peintre, architecte, critique d’art, typographe et éditeur, fonde, en 1917, un courant qui deviendra mondialement connu baptisé De Stijl – prononcer « De Stèle » en français –, autrement dit « Le Style ». Influencé par les écrits de Wassily Kandinsky, notamment par son ouvrage Du spirituel dans l’art, paru en 1911, Van Doesburg cherche à établir un vocabulaire visuel composé de formes géométriques élémentaires compréhensibles de tous. Avant d’être identifié comme un courant, De Stijl sera d’abord une revue éponyme réunissant une brochette d’artistes innovants, dont les peintres Piet Mondrian et Bart Van der Leck, le poète Antony Kok ou l’architecte Jacobus Johannes Pieter Oud, dit J.J.P. Oud. Tous estiment que l’art abstrait est l’avenir et publient leur vision de ce « style » nouveau en phase avec le monde moderne. Le premier numéro paraît en octobre 1917, avec un logo signé Vilmos Huszár. En couverture, on peut lire que De Stijl entend « contribuer au développement de la nouvelle conscience esthétique ». Très influente sur le plan national comme international, la revue – en tout, 90 numéros – paraît jusqu’en 1931, année de la mort de Theo Van Doesburg.

2- TROIS COULEURS PRIMAIRES ET JOYEUSES

Davantage encore que Theo Van Doesburg, s’il est un artiste dont l’œuvre symbolise à merveille ce « précepte des trois couleurs primaires », c’est Piet Mondrian. Avec des principes théoriques fondés sur des rapports entre surface et couleur, il peint de larges aplats et des lignes qui semblent se poursuivre au-delà de la toile. Une harmonie conceptuelle qui mixe des tons primaires – bleu, jaune, rouge – à des « non-couleurs » – noir, blanc, gris. Ces nuances vives ne sont pas du goût de tous. En témoigne l’échec d’un duo entre Theo Van Doesburg et J.J.P. Oud pour un groupe de maisons, rue Potgieterstraat, à Rotterdam. Estimant que les nuances pétaradantes – et les lignes diagonales – de l’artiste font concurrence à son esquisse, l’architecte choisit finalement de n’employer que des tons gris – et des lignes droites !

À l’origine fabriqué en bois brut, voire peint uniquement en noir et gris, ce monument de l’histoire du design qu’est la chaise Rouge et bleue de Gerrit Rietveld n’a été habillé de nuances primaires qu’au moment où le designer a intégré le groupe De Stijl. Autre anecdote haute en couleur : en 1919, ledit designer peint le berceau de son fils en rouge et jaune et y tend un tissu bleu : « Ce qui lui donne un air de fête ! », sourit-il. Lorsque Theo Van Doesburg organise, en 1923, à la galerie L’Effort moderne, à Paris, la première exposition française de De Stijl, un critique écrit qu’elle dégage « une joie de vivre proche de la témérité ».

3- LA MAISON SCHRÖDER DE RIETVELD

En 1925, alors que le pavillon néerlandais de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris fait encore l’éloge tout en briques marron et formes gracieuses de la populaire École d’Amsterdam, l’architecte Gerrit Rietveld (1888-1964), lui, vient d’achever, à Utrecht (Pays-Bas), plus qu’une villa, un manifeste davantage en phase avec le monde nouveau : la Maison Schröder. Influencé par Frank Lloyd Wright, mais ayant « ingurgité » les préceptes de De Stijl, en particulier les rigoureuses compositions de Mondrian, Rietveld opère une véritable « révolution de l’espace ». Pour rompre l’aspect monobloc, il dessine un cube ouvert, interrogeant la limite entre intérieur et extérieur. La peinture n’est plus une simple décoration pour l’architecture et l’architecture n’est plus un simple support pour la peinture : les volumes s’ornent de nuances primaires, les structures de « non-couleurs ». Au premier étage, Rietveld conçoit un plan libre : 18 cloisons coulissantes montées sur rail permettent de reconfigurer l’espace de vie, selon ses besoins ou les moments de la journée. Avec ce système de parois mobiles, il réalise non seulement une esthétique originale, mais surtout un modèle qui permet d’expérimenter un nouveau mode de vie. Mme Schröder-Schräder y vécut jusqu’à sa mort, en 1985, à l’âge de 95 ans. La maison est ouverte au public depuis 1987.

4- L’INFLUENCE DE RIETVELD SUR LE DESIGN

Non, le design version De Stijl ne se résume pas à l’unique et néanmoins iconique chaise Rouge et bleue de Gerrit Rietveld. Jadis ébéniste hors pair avant de devenir architecte, ce dernier dessine une multitude de meubles et de luminaires, dans lesquels les détails disparaissent pour ne laisser subsister que l’essentiel. En tout : 215 projets, dont moult spécimens phares telle la fameuse chaise en porte-à-faux Zig-Zag, ancêtre de l’assise en plastique que le Danois Verner Panton conçoit dans les années 1960 et qui porte son nom, la chaise Panton. Cent ans après sa naissance, De Stijl est encore une importante source d’inspiration pour les designers du monde entier. En 2009, la Française Matali Crasset propose le bureau Open Room (Established & Sons), qui mixe plan de travail, rangement, conteneur et lampe. Avec Lotek (Artemide), l’Espagnol Javier Mariscal, lui, réinvente une lampe d’architecte rigolote avec bras mobiles, tête orientable et source Led. En 2015, l’Autrichien Robert Stadler produit, pour la Carpenters Workshop Gallery, à Paris, la série Cut_Paste [« Coupé-Collé »] : sept pièces aux sections tranchées net, subtils jeux d’intersections de plans qui évoquent certains principes de De Stijl. Au rayon « citations » enfin, le Japonais Shiro Kuramata (1934-1991) dessine, en 1975, deux meubles de rangement baptisés tout simplement Hommage à Mondrian, que le fabricant italien Cappellini produit en 2009. Plus loufoque : en 2004, deux membres du groupe batave alors phare Droog Design badinent : Maarten Baas, pour sa série Smoke, carbonise une chaise Rouge et bleue et un modèle Zig-Zag, tandis que Mario Minale reproduit la chaise Rouge et bleue en… briques Lego.

5- LE GROUPE DE STIJL

Si Theo Van Doesburg restera, sa vie durant, l’inspiré homme-orchestre de De Stijl, Piet Mondrian (1872-1944) et Bart Van der Leck (1876-1858) seront, eux aussi, deux « moteurs » du groupe. À l’heure où industrialisation et progrès techniques ont une grande influence sur la vie quotidienne, ils estiment qu’un art nouveau peut conduire à une société moderne meilleure. Or ce n’est qu’en rompant radicalement avec les traditions antérieures que l’art pourra rendre visible cette modernité. D’où ce désir d’une abstraction poussée à l’extrême. Objectif : atteindre l’équilibre le plus pur en réduisant au maximum le langage visuel aux formes les plus fondamentales. Participent, entre autres, à l’aventure des personnalités aussi diverses que les architectes Robert van’t Hoff, Jan Wils et Cornelis Van Eesteren, le sculpteur Georges Vantongerloo ou le designer et architecte Gerrit Rietveld. Theo Van Doesburg rêve d’une synergie entre les membres, laquelle n’opérera que partiellement. Lui se verra chargé par Jan Wils de la composition chromatique de la villa De Lange, à Alkmaar, pour laquelle Mondrian dessine le vitrail Composition IV. Idem avec la maison de vacances pour enfants défavorisés De Vonk, à Noordwijkerhout, fruit d’une collaboration réussie entre Van Doesburg et J.J.P. Oud.

 

 

2017, l’année de Mondrian et du design néerlandais. Centenaire du mouvement De Stijl et les 25 ans du Dutch Design. Trois expositions majeures en Hollande. www.mondriaantodutchdesign.com
« Piet Mondrian et Bart Van der Leck »,
terminée depuis le 21 mai. Gemeentemuseum den Haag, Stadhouderslaan 41, La Haye (Pays-Bas). denhaag.com
« Chefs-d’œuvre de Rietveld. Longue vie à De Stijl ! »,
jusqu’au 11 juin 2017. Centraal Museum, Agnietenstraat 1, Utrecht (Pays-Bas). Ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 17 h. Fermé le Lundi. Tarifs : 12,50 et 5 €. centraalmuseum.nl
« Vilmos Huszár »,
jusqu’au 7 janvier 2018. Stadsmuseum Haderwijk, Donkerstraat 4, Harderwijk (Pays-Bas). Ouvert du mardi au samedi de 10 h à 17 h et le dimanche de 12 h à 17 h. Tarifs : 6 et 3,50 €. www.stadsmuseum-harderwijk.nl

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°702 du 1 juin 2017, avec le titre suivant : 5 clés pour comprendre De Stijl

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