Restauration

Rafraîchir l’art contemporain

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2008 - 1079 mots

L’art contemporain pose des problèmes spécifiques qui obligent le restaurateur à repenser sa pratique. L’artiste, pour certains professionnels, n’est pas le mieux placé pour restaurer ses œuvres

 Sujet aussi épineux que stimulant, la restauration des œuvres contemporaines anime sans relâche un débat qui croise des questions aussi bien techniques, muséologiques, juridiques que philosophiques. Premier paradoxe  : la restauration de l’art contemporain apparaît comme une opération plus délicate et périlleuse que celle de l’art ancien, qui a traversé plusieurs siècles, alors que certaines œuvres produites il y a à peine dix ans posent de véritables casse-tête aux restaurateurs. La restauration des œuvres contemporaines serait-elle une discipline à part dans la profession  ? L’art contemporain pose en tout cas des problèmes spécifiques. Le premier concerne les matériaux qui se sont diversifiés depuis le geste fondateur du collage dans les années 1910, dès lors, papier journal, carton, puis fleurs, graisse, mie de pain, sont devenus les matériaux ordinaires de l’art. Ces dernières années, l’apparition de la mousse polyuréthane, l’élastomère, ou l’impression numérique à jet d’encre obligent les restaurateurs à tenter de nouvelles expériences. «  Nous prenons des risques, note le restaurateur Alex Vanopbroeke, car l’histoire ne nous dit pas comment tel produit évoluera dans dix ans  ». La fragilité des matériaux soulève aussi une contradiction qui oppose le principe de restauration de l’œuvre à la loi de la réversibilité du code éthique  : «  Comment consolider une œuvre en papier journal avec un matériau censé être encore plus fragile, afin que l’acte reste réversible  ?  », souligne le restaurateur David Aguilella Cueco. D’autres dilemmes sont posés par les œuvres qui intègrent des éléments ready-made. Que faire lorsqu’un tel objet doit être remplacé alors qu’il n’est plus vendu dans le commerce  ? C’est le cas d’école du Burning Buddha (1986) de Nam June Paik, cité lors du colloque organisé à l’Institut national du patrimoine en 1992 (1). Quand le téléviseur devant lequel «  médite  » la statue du Buddha tombe en panne en 1988, le musée et l’artiste ont pris la décision de le remplacer. L’œuvre est dans ce cas «  actualisée  », en arborant un nouveau design et passant du noir et blanc à la couleur. Une autre forme d’obsolescence guette l’art contemporain  : celle du matériel qui permet de lire l’œuvre, dans le cas de la vidéo, par exemple. Cécile Dazord a soulevé l’urgence de cette question lors de la journée d’étude «  Du refus ou de l’impossibilité de la restauration  » tenue en février  2007 à l’École des beaux-arts de Tours  ; elle a entamé avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA) une campagne de numérisation de bandes magnétiques. L’utilisation par les artistes de matériaux fragiles ou même dégradables rend la tâche du restaurateur très complexe, parfois impossible, voire aberrante. Comme le confie Pascal Neveux, directeur de la collection du FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, «  parfois, des questions de bon sens se posent. Quand la restauration de l’œuvre prend plus de temps et coûte plus cher que l’œuvre elle-même, ne vaudrait-il pas mieux la faire refaire par l’artiste  ?  ».

Et les œuvres éphémères  ?
L’opération pourrait même relever du contresens dans le cas où le caractère éphémère de l’œuvre en constitue le principe. En effet, c’est le jeu des artistes que de rendre l’œuvre rétive à sa conservation, une histoire qui commence avec la dématérialisation de l’œuvre et la critique institutionnelle. Le débat devrait alors intégrer la question de l’art in situ ou de la performance pour lesquelles ne demeurent que des traces. Jean-François Taddeï, alors directeur du FRAC Pays de la Loire, concluait lors du colloque de 1992  : «  Accepterons-nous l’idée que certaines œuvres ont une durée de vie limitée  ? […] La notion de patrimoine doit nécessairement évoluer  ». En attendant ce renversement éthique, l’institution muséale a pour obligation de conserver et de transmettre la matérialité des œuvres même si celle-ci est infime (une simple attestation pour certaines œuvres conceptuelles). «  Il s’agit d’adapter la loi du musée à l’œuvre  » – et inversement – note Roland May, directeur du Centre interrégional de conservation et restauration du patrimoine (CICRP). «  La solution est souvent celle du compromis  », indique Béatrice Tessier, conservateur-restaurateur au FRAC des Pays de la Loire. Elle raconte celui conclu avec Thierry de Cordier dont le FRAC possède un autoportrait censé vieillir et disparaître avec l’artiste  : il s’agira de «  ralentir  » son processus de destruction. Une autre donnée particulière à la restauration de l’art contemporain est qu’elle doit se référer à l’artiste encore vivant, ce qui permet de bénéficier de précieux conseils, mais comporte aussi des inconvénients auxquels met en garde David Aguilella Cueco en se demandant si «  l’artiste est le mieux placé pour restaurer son œuvre  ». En effet, il arrive que le droit moral de l’artiste se confronte au droit de propriété. La solution de l’artiste pourra s’opposer à la volonté du collectionneur ou du conservateur de «  figer  » l’œuvre acquise quand le premier préférera l’actualiser ou la refaire. Aussi, quel statut historique et esthétique donner à ces œuvres modifiées ou «  refaites  »  ?
Sur le plan pratique, la restauration des œuvres appelle le plus souvent une action de conservation préventive, un travail d’accompagnement que défend la Fédération française des conservateurs-restaurateurs (FFCR), revendiquant la reconnaissance de la profession. Face aux problèmes techniques et déontologiques posés par les œuvres contemporaines, il ressort des derniers débats que les progrès de la conservation-restauration seront garantis par le développement de la documentation afin de mieux connaître les intentions de l’artiste. Dans ce but, la Délégation aux arts plastiques a mis à disposition des FRAC, en 2004, un questionnaire à soumettre à l’artiste pour chaque acquisition, tandis que L’Incca (International network for the conservation of contemporary art) a entamé une campagne d’interviews filmées. La restauration des œuvres contemporaines déborde donc très largement de son aspect technique et se redéfinit dans une recherche poussée et une réflexion collective qui met au premier plan l’intégrité de l’œuvre. Restaurer une pièce, c’est la faire revivre comme le rappelle Jean-Marc Ferrari, directeur de l’École des beaux-arts d’Avignon qui propose un diplôme de restauration, «  et cela nécessite plus qu’une main habile, une intelligence de l’œuvre  ». Finalement, cette rigueur et ces remises en question qui s’imposent spécifiquement en art contemporain «  ne diffèrent pas de celles requise par l’art ancien  », qui répond à la même déontologie, insiste David Aguilella Cueco.


(1) Conservation et restauration des œuvres d’art contemporain, Actes de colloque, La Documentation française, Paris, 1994.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : Rafraîchir l’art contemporain

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