Art contemporain

Noël Dolla, artiste radical, homme libre

Par Henri-François Debailleux · L'ŒIL

Le 23 avril 2025 - 1505 mots

Co-signataire du mouvement Supports-Surfaces, le peintre Noël Dolla peut se targuer d’un parcours artistique en toute liberté. Si son fort caractère a pu parfois lui jouer des tours, il en a néanmoins tiré sa rigueur, son engagement et sa créativité. Rencontre sans filtre.

« Lorsque je suis né, à Nice en 1945, mes parents avaient juste 16 ans. Nous étions d’un milieu modeste, populaire. Ma mère était femme au foyer et mon père, qui buvait beaucoup, était imprimeur et un peu faussaire », rappelle l’artiste peintre Noël Dolla. On ne peut pas vraiment dire que l’aîné d’une fratrie composée de quatre garçons « dont deux, junkies, sont morts du sida dans les années 1980 » – précise-t-il –, soit venu au monde avec une cuillère en argent dans la bouche et qu’il ait eu un démarrage facile dans la vie. « J’étais un peu lâché dans la pampa », sourit-il.

De la pêche à l’art

Mais il y avait la pêche et son grand-père. Noël Dolla en effet aimait l’eau : de rivière comme de mer pour satisfaire sa passion qui le conduit plus tard des bords de la Méditerranée jusqu’en Afrique. « Maintenant, avec l’âge, je pêche moins. Mais j’ai quand même encore un petit bateau, le Lou Che. Il est peint en rouge, blanc et noir, et tout le monde croit que c’est en référence à l’OGC Nice [le club de football de la ville], alors que pas du tout, c’est plutôt un hommage au Che Guevara, à Louise Michel et Pepe Mujica [ancien président de l’Uruguay] ». L’artiste rappelle qu’il a longtemps pêché à la mouche, ce qui le pousse, à partir de 1972, à travailler autour des leurres. Quant au grand-père, il était peintre décorateur. « Il faisait du faux bois, du faux marbre, peignait des lettres surtout, et il m’a appris le métier. Je faisais des chantiers avec lui. Comme je m’étais fait virer de toutes les écoles, j’ai passé un CAP de peintre en bâtiment. » Noël Dolla passe ensuite le concours de l’École nationale des arts décoratifs de Nice. « J’ai été reçu 28e sur 30 », en rigole-t-il encore. Entre 1964 et 1966, l’artiste Claude Viallat est l’un de ses professeurs qui le défend lorsqu’il se fait renvoyer de l’école. Noël Dolla passe alors beaucoup de temps au « Magasin » de Ben à Nice qui organise en décembre 1967 une exposition, « Le hall des remises en question », à laquelle il participe avec Viallat, Patrick Saytour, Louis Cane. Il y montre son premier étendoir aux serpillières. Commence alors l’aventure du mouvement Supports-Surfaces dont il est l’un des fondateurs.

Esthétique et symbolique du gant de toilette

Selon ses propres termes, arrive ensuite « l’épisode de Coaraze », un village de l’arrière-pays niçois où doit se tenir à l’été 1969 une exposition du groupe, de laquelle il se fait écarter par Patrick Saytour. Pour se venger, il se rend en octobre, à Turini, à 2 000 m d’altitude au-dessus de Nice où il peint des blocs de rochers en rose. Il y retourne quelques mois plus tard pour y tracer « trois grands cercles de 30 mètres de diamètre avec du sel et des trucs colorés » et il y revient en juin 1970, sans la neige, pour une troisième intervention où il « disperse sur l’herbe 500 “dessous” de gâteaux en carton blanc pour réagir encore une fois à la réaction de Saytour ». Noël Dolla a toujours eu du tempérament. « Je suis “rougneux” », dit-il. La performance lui vaut quelques lignes de biographie en tant qu’artiste de land art.Il rejoint très vite le groupe et reprend l’esprit Supports-Surfaces en travaillant au fil du temps aussi bien sur des serpillières et des torchons, que sur de la tarlatane, des draps de lit, des taies d’oreiller, des mouchoirs, des éponges, des gants de toilette. Une façon, comme ses compères, de questionner la peinture, ses conditions d’apparition, d’existence et ses limites. « Les connotations ménagères étaient très importantes pour moi. Cela me ramenait à l’idée de la famille. Ces matériaux avaient aussi une fonction symbolique, métaphorique : quand j’utilisais des gants de toilette, c’était aussi une façon de débarbouiller la peinture, comme si ces gants ramassaient la crasse de toute la peinture du monde. De plus, ces matériaux étaient pour moi une façon de réagir face à la société. J’avais lu Karl Marx, mais aussi Pierre-Joseph Proudhon, Mikhaïl Bakounine… J’étais un anarcho-syndicaliste. » Noël Dolla a toujours été un artiste engagé. Il l’est encore : « Comment ne pas réagir quand on voit ce qui se passe avec Trump, Musk, Poutine, Netanyahou… »

Le chemin de croix

Petit à petit Noël Dolla connaît la reconnaissance et le succès, notamment avec sa série des « Croix », entre 1973 et 1975 qui deviennent en quelque sorte sa signature. Il expose alors dans de très importantes galeries : Albert Baronian à Bruxelles, La Bertesca à Gênes et Milan, Gérald Pilzer à Paris, Paul Maenz à Cologne, Renzo Spagnoli à Florence. Mais il arrête de travailler sur ce thème pour deux raisons. D’une part parce qu’il se réveille un matin avec une forte douleur aux genoux qui se révèle être une bursite, une inflammation de l’articulation. « Je me suis dit, ah non, je n’ai pas quitté la peinture en bâtiment pour finir par ce qu’on appelle la maladie des carreleurs ! J’ai tout de suite cessé de faire des croix. » D’autre part, à partir de 1976, il commence une nouvelle série, les « Tarlatanes », qui ne marche pas du tout, ce qui l’énerve profondément et le pousse, en grand têtu, à continuer dans cette direction. « J’ai toujours pensé qu’un artiste devait être libre de faire, à tort ou à raison, ce qu’il pensait devoir faire. C’est ce que j’ai fait et je suis toujours allé là où ma pratique me menait. » Commence alors une période de vaches maigres qui va durer une dizaine d’années. « C’était très dur, tout le monde m’a lâché. Et je dois à deux personnes d’avoir surnagé : la commissaire d’exposition Marie-Claude Beaud et le directeur de musée Christian Bernard. Puis Alain Julien-Laferrière, le directeur du Centre de création contemporaine. » La première, récemment décédée, l’a invité en 1989 à la Fondation Cartier dont elle fut la première directrice à Jouy-en-Josas. Le second lui a organisé une exposition personnelle dans la Salle Carrée de la Villa Arson en 1990. Le troisième également un solo show, la même année, au CCC de Tours.

Un enseignant rigoureux

Entre-temps, soutenu par le ministère de la Culture, Noël Dolla est nommé professeur à la Villa Arson, Centre national d’art contemporain et École nationale supérieure d’art de Nice. Plus tard et pendant de nombreuses années, son directeur a été Christian Bernard dont la rigueur et l’exigence ont déteint sur Dolla. Ce dernier y a enseigné jusqu’en 2011. Un long bail qui, au départ surtout, lui assure une relative sécurité matérielle et lui permet de constamment expérimenter, innover, surprendre sans avoir à se soucier de son marché. D’ailleurs, précise-t-il « nous ne vendions rien ».Au fil du temps, la liste des étudiants passés par son enseignement est très longue : Ghada Amer, Philippe Mayaux, Tatiana Trouvé, Philippe Ramette, Jean-Luc Verna, pour n’en citer que quelques-uns. Il leur a notamment inculqué une belle rigueur dont il a lui-même témoigné tout au long de sa carrière et que l’on retrouve en ce moment, tel un point d’orgue, dans l’immense espace (1 000 m2) de la galerie Ceysson & Bénétière à Saint-Étienne.Au-delà de la qualité des œuvres, l’ensemble qui rassemble plusieurs séries (« Fumées », « Sniper », « Tarlatane », « Vague »…), datées de 2018 à 2025, est un modèle, une leçon, une démonstration de ce que peut-être un accrochage exigeant, radical, réussi. Une œuvre en soi, entièrement pensée du début jusqu’à la fin, avec un formidable souci du détail. On s’en rend compte dès l’entrée puisque Noël Dolla est allé jusqu’à peindre de différentes couleurs la tranche des murs pour casser la géométrie de l’espace, créer un lien, un passage d’une salle à l’autre et inviter à une circulation différente. Il y a ainsi un effet de concaténation au fil du parcours dans lequel les œuvres s’enchaînent, chacune en appelant une autre, conduisant à la suivante avec une grande fluidité, comme une évidence. Le meilleur exemple en est cette diagonale fantastique, un immense lai de tarlatane de 8,5 mètres de long sur 1,4 de large qui, accroché du sol au plafond entre deux salles, joue le trait d’union entre elles. Si certaines pièces rappellent des œuvres plus anciennes, Noël Dolla ne s’en cache pas et affirme : « Quand on vieillit, il faut bien qu’on se serve de ce qu’on a fait. » Elles témoignent d’une belle jeunesse et d’une grande liberté. « Je suis un rigoriste baroque », s’amuse-t-il.

Repères biographiques de Noël Dolla
1945
Naît à Nice
1967
Première exposition collective à la Galerie Ben doute de tout, Nice.
1989
« Noël Dolla, carte blanche au groupe E.L.A.N » , à la Fondation Cartier, Jouy-en-Josas (78)
2005
« Soleil voilé » , galerie Les Filles du Calvaire, Paris
2013
« Entrée libre mais non obligatoire » , à la Villa Arson, Nice
2015
« Plis & Replis “Silence” » , galerie Bernard Ceysson, Paris
2025
« Peintures 2018-2024 » à la galerie Ceysson & Bénétière de Saint-Étienne
À voir
« Noël Dolla, peintures 2018-2024 »,
Galerie Ceysson & Benetière, 10, rue des Aciéries, Saint-Étienne (42), jusqu’au 24 mai, www.ceyssonbenetiere.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°785 du 1 mai 2025, avec le titre suivant : Noël Dolla, artiste radical, homme libre

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