Centre d'art

Le Quadrilatère ressort de l’ombre

Par Mathieu Oui · L'ŒIL

Le 21 mai 2025 - 1324 mots

Édifié sur des vestiges gallo-romains et en bordure de la cathédrale Saint-Pierre, le Quadrilatère de Beauvais, qui vient d’être rénové, réunit un centre d’art contemporain et un centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine.

Le Quadrilatère de Beauvais. © Antoine Mercusot / Chatillon Architectes
Le Quadrilatère de Beauvais.
© Antoine Mercusot / Chatillon Architectes

Posé aux abords du chevet de la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais, le Quadrilatère se distingue par sa faible hauteur et sa façade horizontale, un geste d’humilité qui jouxte l’imposante architecture gothique culminant à près de 50 m de hauteur. Depuis les jardins, se devinent même les anciennes murailles urbaines qui dépassent tout juste au-dessus de l’enveloppe de plaques de béton. S’insérant dans l’enceinte de l’ancien castrum [camp fortifié romain], le bâtiment de l’architecte André Hermant (1908-1978) opère un grand écart historique entre le IIIe et le XXe siècle. Inauguré en 1976 sur une proposition d’André Malraux, l’édifice était à l’origine destiné à héberger la Galerie nationale de la tapisserie afin de mettre en valeur le savoir-faire de la région en la matière. En 2013, la Manufacture de la tapisserie est rattachée au Mobilier national et le bâtiment revendu à la Ville qui le transforme en centre d’art.

Deux ans de rénovation

Quand le visiteur pénètre dans le hall d’entrée, il est frappé par le caractère très lumineux de ce vaste espace qui débouche sur un grand escalier s’enroulant autour d’une rampe de bois clair. Difficile d’imaginer l’état initial du Quadrilatère : « Le bâtiment avait besoin de sortir de l’ombre, dans tous les sens du terme », résume Lucy Hofbauer, la directrice des lieux. Outre une baisse de fréquentation au tournant des années 2000, le centre d’art souffrait d’une faible luminosité et d’espaces peu adaptés, restés dans leur jus. Habituée des rénovations patrimoniales (dont dernièrement la restauration du Musée Carnavalet et du Grand Palais), l’agence Chatillon Architectes a conduit les deux années de travaux. Le chantier a porté sur l’accessibilité des personnes à mobilité réduite avec l’installation d’un ascenseur, la mise aux normes de sécurité, la modernisation des équipements techniques (éclairage, acoustique…). « Auparavant, le bâtiment ne disposait pas d’une gestion du climat, qui est pourtant un élément essentiel aujourd’hui en matière de prêt d’œuvres », poursuit la directrice. Sur le plan énergétique, le toit terrasse a été isolé et les huisseries changées. Et, élément incontournable de tout équipement culturel, un café-boutique a été aménagé dans une ancienne salle d’exposition dont les baies ouvrent sur la terrasse arborée. L’intérieur des galeries présente un volume remarquable, d’une ampleur insoupçonnable depuis l’extérieur. Se révèle une sorte de cathédrale contemporaine creusée dans la profondeur. Les plus hautes salles, qui se déploient sur près de huit mètres, étaient en effet destinées à accueillir des tapisseries monumentales.

Histoire architecturale de la ville

Tout au fond de la galerie haute, le visiteur arrive dans une salle en mezzanine qui surplombe les espaces de la galerie basse. En contrebas, il découvre les éléments de la muraille antique, visibles à travers de grandes baies vitrées rectangulaires, ainsi que la tour Saint-Hilaire, littéralement enchâssée dans le mur. Invitée pour une carte blanche artistique à l’occasion de la réouverture des lieux, l’artiste Stéphanie Mansy (née en 1978) est intervenue directement sur la grande paroi du fond. Originaire de l’Oise, la dessinatrice a suivi durant une année les travaux et s’est nourrie de cette immersion pour composer une imposante fresque murale qui évoque les différentes strates historiques du bâtiment sous la forme de grands signes noirs et de gerbes en mouvement. C’est au niveau de la galerie basse que se trouve le centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (CIAP), nouvel espace permanent qui retrace sous forme de maquettes, de panneaux illustrés et de projections vidéo, 2 000 ans d’histoire de la ville de Beauvais. Chaque section est consacrée à un thème : du rempart antique à la cathédrale restée inachevée, du grès de Beauvais à l’industrie textile avec la fabrication des draps de laine. Le visiteur apprend aussi comment les bombardements allemands de mai et juin 1940 ont profondément affecté le paysage urbain, ce qui permet de mieux comprendre l’environnement immédiat du Quadrilatère reconstruit entre 1946 et 1963. Les maisons à pans de bois du centre-ville furent entièrement dévastées par les bombes incendiaires, tout comme les ateliers de la Manufacture nationale de tapisserie installée à Beauvais depuis 1664. Le parcours se termine par la découverte de la crypte archéologique, qui permet de revenir sur la naissance de la ville. Cæsaromagus, la ville romaine fut fondée il y a près de 2 000 ans, au Ier siècle de notre ère, comme capitale du territoire de la cité des Bellovaques. Sont aussi exposés dans la crypte quelques objets issus des fouilles archéologiques : un buste de Minerve du IIIe siècle, des pièces de monnaies du IVe siècle ou des céramiques de l’époque carolingienne. La dernière campagne de fouilles réalisée lors des travaux de rénovation n’a, quant à elle, pas encore révélé tous ses secrets.

Une expo en lignes de fuite

Une longue diagonale de toiles de bandes colorées guide le visiteur à l’intérieur des galeries à la manière d’une irrésistible ligne de fuite. À l’invitation de la directrice du Quadrilatère, Lucy Hofbauer, Cécile Bart a conçu un geste artistique magistral, dans un dialogue juste et minimaliste avec l’architecture conçue par André Hermant. Avec pour vocabulaire les lignes et la couleur délimitées par du vide, l’artiste compose une installation in situ, à l’image du lieu. Côté galeries hautes, de grandes toiles de bandes colorées que l’artiste appelle des « Jalousies » soulignent l’horizontalité des espaces. Dans les galeries basses, des rondes de fils de couleurs suspendus au plafond, compositions amples et légères, y répondent par un contrepoint vertical. Clou de l’exposition, l’installation magnifique ode à l’énergie de corps saisis en pleine course. Avec cette compilation d’extraits de films diffusés sur des toiles transparentes peintes, la plasticienne orchestre une rencontre silencieuse, saisissante, entre art plastique et cinéma. Un véritable instant de grâce.

Mathieu Oui

« Cécile Bart. Peu importent les ressemblances »,

jusqu’au 6 janvier 2026.

La tour Saint-Hilaire

Incluse dans la galerie basse qui accueille aujourd’hui le Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (CIAP), la tour Saint-Hilaire est un élément de la fortification gallo-romaine. Construite à partir du IVe siècle, celle-ci ceinturait la ville sur une superficie de 10 hectares. D’une épaisseur moyenne de 2,5 mètres, elle s’élève par endroits à plus de 14 m de hauteur. Des matériaux de réemploi, des pierres issues des grands monuments de la ville des Ier-IIIe siècles et des morceaux de tuiles ont été utilisés pour la construire.


La crypte

Mise à jour lors de fouilles réalisées dans les années 1960, avant la construction du Quadrilatère, la crypte archéologique est désormais accessible au public de façon permanente. Une passerelle en bois, métal et verre permet d’en faire le tour et de découvrir les fondements antiques de Beauvais, notamment une exèdre [place publique] semi-circulaire de 50 m de diamètre, bordée d’un portique. La fonction précise de cet équipement érigé au IIIe siècle, envisagé pendant un temps comme le forum, est encore soumise à spéculations.


Les galeries d’exposition

Le bâtiment offre 2 000 m2 de galeries d’exposition réparties sur six niveaux et demi-niveaux et distribuées par un escalier monumental. Le long de la galerie haute, de larges baies vitrées permettent d’admirer le chevet de la cathédrale Saint-Pierre. Des murs blancs, au mobilier d’exposition en bois clair en passant par l’ajout de nouvelles baies, la clarté des salles a été améliorée. Sous les voûtes de béton du plafond, des structures métalliques noires dissimulent le système électrique, améliorent la qualité acoustique, tout en offrant un rétroéclairage.


Les jardins paysagers

Le Quadrilatère se déploie autour d’une vaste terrasse arborée, enrichie d’arbustes et de graminées qui se trouve au pied du chevet de la cathédrale Saint-Pierre et conçue en collaboration entre Chatillon Architectes et Studio M. Depuis cet espace, on peut aussi apercevoir l’une des rares maisons à colombages ayant survécu aux bombardements de 1940. Un patio dans le hall d’entrée et un autre jardin situé de l’autre côté du bâtiment et délimité par le rempart complètent les espaces extérieurs.

À voir
Le Quadrilatère,
22, rue Saint-Pierre, Beauvais (60), www.lequadrilatere.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°786 du 1 juin 2025, avec le titre suivant : Le Quadrilatère ressort de l’ombre

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