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Le Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine joue la convivialité

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2025 - 1025 mots

LIMOGES

Avec son installation en plein centre historique de Limoges, le nouvel espace du Frac-Artothèque sanctuarise son modèle originel de démocratisation culturelle.

Le grand cube de bois et d’acier imaginé par l’agence Jakob+MacFarlane à l'intérieur du Frac-artothèque Nouvelle-Aquitaine à Limoges. © Roland Halbe
Le grand cube de bois et d’acier imaginé par l’agence Jakob+MacFarlane à l'intérieur du Frac-artothèque Nouvelle-Aquitaine à Limoges.
© Roland Halbe

Limoges (Haute-Vienne). « L’impression de vivre un rêve ! », souffle Yannick Miloux, directeur de l’ancien Frac Limousin devenu Frac Artothèque Nouvelle-Aquitaine en 2O15 (1), en laissant courir ses yeux sur les coursives de l’ancienne imprimerie réhabilitée. « Lorsque je suis arrivé en 2000, nous étions dans les caves des Coopérateurs, un lieu décentré, underground », rappelle-t-il. Une description aux antipodes du nouvel écrin inauguré par la Région ce mardi 20 mai : le Frac (Fonds régional d’art contemporain) a désormais pignon sur rue – une voie piétonne au centre-ville –, et ses portes ouvrent sur une cathédrale de lumière qui fait oublier les voûtes sombres de l’ancien espace.

Au terme d’un chantier dont l’issue a plusieurs fois été repoussée (trois entreprises ont fait défection durant les travaux), les Limougeauds vont enfin pouvoir revenir dans cette halle industrielle du XIXe siècle. « Et beaucoup d’entre eux sont impatients de découvrir le résultat, parce qu’ils ont connu et fréquenté le lieu lorsqu’il était occupé par Eurodif », fait savoir Charline Claveau, vice-présidente à la Culture de la Région Nouvelle-Aquitaine.

Un café symbole d’une ouverture à un large public

L’histoire longue d’un bâtiment identifié par les habitants servira certainement les objectifs d’ouverture à un large public que nourrit l’institution. Le nouvel aménagement du monument a également été pensé pour maximiser la visibilité du lieu : sur la façade, un support en acier soutient de grands panneaux LED diffusant des œuvres digitales. « C’est la manifestation d’un service public qui transpire sur la ville », explique Dominique Jakob de l’agence d’architecture Jakob + MacFarlane, maître d’œuvre de la réhabilitation.

Façade du Frac-artothèque Nouvelle-Aquitaine de Limoges. © Roland Halbe
Le Frac-artothèque Nouvelle-Aquitaine à Limoges.
© Roland Halbe

Derrière cette façade innovante, le premier service que rencontreront les visiteurs n’est pas une billetterie (le Frac est accessible gratuitement), mais un café, dont le mobilier en cuir aux teintes chaudes a été conçu par les architectes. « Ce café est vraiment le symbole de notre projet, insiste la directrice de l’établissement, Catherine Texier. Il incarne l’idée d’une création artistique qui peut aller à la rencontre de tous. »

Pour le client du café qui s’aventurera dans les espaces d’exposition, nulle difficulté d’orientation dans ce grand hall surplombé par deux étages de coursives qui s’offre au regard. Un cadre patrimonial affirmé, avec la mise en valeur des escaliers historiques, la conservation des ferronneries, les planchers qui grincent et le carrelage à motif d’origine : l’espace constitue un premier motif d’attraction pour un public peu habitué aux lieux d’art. Seule une petite salle aux conditions muséographiques appropriées à l’exposition des œuvres fragiles vient rappeler l’architecture du « white cube ».

À l’intérieur, les ajouts contemporains de l’agence Jakob + MacFarlane se limitent à un grand cube de bois et d’acier galvanisé, posé entre le café et les espaces d’exposition. On y trouve une « boîte immersive » numérique qui permet d’explorer quelque 300 œuvres des collections. Avant de rencontrer le probable intérêt du grand public, le dispositif est déjà indispensable aux équipes : « C’est devenu un outil de travail qui a changé notre rapport à la documentation », explique Catherine Texier. La création de ces contenus amène en effet les équipes à enrichir les dossiers d’œuvres, notamment par des entretiens enregistrés avec les artistes.

Dernier atout : l’artothèque, qui a fusionné avec le Frac en 2015 (les deux collections restant séparées), et dont les réserves ouvertes aux emprunteurs occupent une bonne partie du premier étage. « C’est souvent le premier accès à la collection, et c’est ce qui permet de fidéliser un public », observe Mathieu Bordes, conseiller arts visuels à la Drac (direction régionale des Affaires culturelles) Nouvelle-Aquitaine. D’autant que la collection de l’ancienne artothèque du Limousin rivalise de qualité avec celle du Frac : les tirages d’Ana Mendieta ou la gravure de James Turrell présentés dans l’exposition inaugurale [lire p. 9] sont bel et bien empruntables par les abonnés !

Un réseau d’arthotèques

En investissant un peu moins de 6 millions d’euros dans la réhabilitation de l’imprimerie (un buget complété par 1 M€ de fonds européens et 1,7 M€ venu de la Drac), la Région Nouvelle-Aquitaine pérennise cette exception culturelle limousine : à partir des années 1980, l’ancienne Région Limousin s’est en effet appropriée les outils de la décentralisation culturelle pour faire fleurir centres d’art et artothèques sur son territoire. Des dispositifs originaux ont permis de constituer la collection de l’artothèque, qui rayonne bien au-delà de Limoges grâce à ses artothèques-relais disséminées sur le territoire. Le réseau Faclim réunit ainsi une quarantaine de communes rurales autour du principe énoncé alors : « 1 franc par an et par habitant » pour acquérir des œuvres. Un modèle salué par le président de la Région, Alain Rousset, qui s’engage à poursuivre ce soutien au « Frac-Arto » en sanctuarisant la subvention de fonctionnement : 1,8 million d’euros par an, dont la majeure partie provient de la Région.

(1) Et aujourd’hui dirigé par Catherine Texier.

Pour Jakob + MacFarlane, un exercice de modestie  


Architecture. Ils sont les architectes des Docks-Cité de la mode à Paris, du Frac Centre-Val de Loire à Orléans et du « cube orange » sur la presqu’île de la Confluence à Lyon : mais en pénétrant dans l’ancienne imprimerie de la rue Charles-Michels, la patte géométrique et colorée qui signe ces réalisations de Dominique Jakob et Brendan MacFarlane s’efface au profit d’une valorisation du monument. « En fait, on mène ce travail avec l’existant depuis toujours, estime Dominique Jakob, [en nous appuyant] sur des structures que d’autres agences proposaient de détruire. » Le duo obtient ici le bon dosage d’approche patrimoniale et de création architecturale, grâce à deux interventions modernes réversibles : la façade « augmentée » et la boîte immersive. « Notre approche sur l’imprimerie a été de ne pas trop imposer de choses comme architecte pour laisser la place aux artistes », explique Brendan MacFarlane. Une ligne de conduite et un dilemme lorsque, surprise de chantier, les carreaux d’origine de l’imprimerie sont apparus sous les sols modernes : fallait-il garder cet héritage de l’ancienne imprimerie, ou offrir aux artistes un écrin moins chargé, plus facile à investir ? Le décor de céramique est finalement préservé, offrant un espace d’exposition plein de personnalité : « Les artistes, les curateurs doivent aussi être bousculés, challengés ! », estime Brendan MacFarlane.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : Le Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine joue la convivialité

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