Le 25 octobre, le centre d’art contemporain inaugure ses gigantesques espaces d’exposition dessinés par Jean Nouvel dans le bâtiment qui abrita le Louvre des antiquaires, en plein centre de Paris.
Paris. Près de deux cents ans plus tard, le cœur de Paris semble vivre une phase de transformation aussi importante quoique de façon plus discrète, que celle impulsée par Napoléon III avec l’aide du baron Haussmann au début du XIXe siècle. Tout paraît identique, mais rien n’est pareil. L’axe de la rue de Rivoli, créée à cette époque, est désormais réservé aux circulations « douces », tandis que place du Palais-Royal, le bâtiment de 17 000 m2 qui accueillit successivement un hôtel emblématique de l’ère moderne, des grands magasins puis, jusqu’en 2019, le Louvre des antiquaires, est désormais le siège, après quatre ans de travaux pharaoniques, de la Fondation Cartier pour l’art contemporain.
Bordée d’un côté par le Louvre, de l’autre par le ministère de la Culture, l’institution privée installée pendant vingt-cinq ans boulevard Raspail bénéficie maintenant, dans un périmètre parisien historique, d’une situation centrale. Cela change évidemment le regard que l’on va porter sur la fondation, et sur sa programmation, jusqu’ici périphérique. Cette ouverture coïncide avec le dévoilement de la métamorphose de l’édifice orchestrée par Jean Nouvel. L’architecte de l’Institut du monde arable, du Musée du quai Branly mais aussi du Louvre Abu Dhabi, livre ici l’aboutissement de sa réflexion sur ce que peut être un musée, autour de deux principes essentiels : la transparence et la modularité.

© Martin Argyroglo
© Adagp Paris 2025
L’intervention de Nouvel se joue à l’intérieur du bâtiment, dont les façades, qui ont été conservées, s’ouvrent à présent sur la ville grâce, au rez-de-chaussée, à leurs baies vitrées plein cintre de sept mètres de haut : des proportions de cathédrale. L’effet de transparence ainsi obtenu, saisissant, offre à cet ensemble monumental une formidable respiration. Les mouvements du quartier, avec ses flux de piétons, dynamisent l’architecture en l’inscrivant dans la vie de la cité, tandis que la lumière naturelle, qui pénètre aussi par les trois verrières restaurées, la maintient en lien avec l’extérieur.
Le deuxième effet de surprise est induit par la perspective mise en évidence, sur les trois niveaux d’exposition, dans toute la longueur du bloc. Celui-ci a été évidé de ses cloisons et de ses structures parasites afin d’en dégager les volumes. En se plaçant au début d’une des coursives de l’étage, il est ainsi possible d’apercevoir, 150 mètres en avant, l’autre extrémité de cette vaste bâtisse patrimoniale. C’est impressionnant.

© Martin Argyroglo
© Adagp Paris 2025
Mais ce sont les cinq plateformes d’acier mobiles, alignées à l’horizontale, qui constituent la véritable prouesse technologique de cette opération. Le dispositif, emprunté à l’ingénierie industrielle des porte-avions, laisse voir sa machinerie puissante de câbles et de poulies enroulés autour de gros vérins. Quelque part entre les coulisses d’un théâtre et le pont d’un navire, c’est une esthétique qui roule des mécaniques. Des moteurs électriques permettent d’élever ces planchers selon onze hauteurs différentes. Résultat, les hauteurs sous plafond varient entre les proportions d’un hall de gare et celles d’un logement moderne. La configuration adoptée pour l’ouverture combine l’alignement de deux plateformes au rez-de-chaussée avec trois autres placées au niveau du premier étage, ce qui permet d’apprécier le caractère déstructuré de cette architecture modulable.
Que montrer dans un tel espace, et pendant la semaine de l’art parisienne ? L’exposition inaugurale réunit une sélection de six cents œuvres sur les 4 500 acquises depuis quarante ans par la fondation. C’est donc à un grand déballage des trésors accumulés – et exposés – pendant quatre décennies que se livre cette dernière.
L’arrivée dans le bâtiment est placée sous le signe des « Machines d’Architecture », l’une des quatre thématiques retenues, avec notamment la modélisation architecturale haute en couleur, de Bodys Isek Kingelez (Projet pour le Kinshasa du troisième millénaire, 1997). Les trois autres thèmes sont « Être Nature », « Making Things » et « Un Monde réel ». En parallèle sont proposés des focus sur certains artistes de la collection, comme Matthew Barney.

© Adagp Paris 2025
Aucun sens de visite n’étant préconisé afin de laisser le visiteur libre, celui-ci déambule d’une galerie de photographies de Claudia Andujar ou de Raymond Depardon à un ensemble de céramiques d’Alev Ebüzziya Siesbye, d’une installation vidéo fantomatique de Christian Boltanski (Les Éphémères, 2018) à un ensemble de sculptures chargées d’ironie critique de David Hammons ou une vidéo de Pierrick Sorin. Quelques œuvres monumentales se détachent du fait de leur taille, dans une tentative, on le suppose, d’offrir des repères visuels. Ainsi du colossal Miraceus de Solange Pessoa suspendu entre deux niveaux comme si les plumes constituant sa corolle lui conféraient une légèreté d’oiseau. Ou de Gazebo, la micro-architecture d’acier et de papier d’Andrea Branzi, ou de l’extravagant Salon de eventos (2018) de Freddy Mamani ou encore des Brise-lames de Saint-Malo, plage du sillon (1994), ready-made balnéaire grandeur nature de Raymond Hains. Mais la disparité des œuvres, et surtout la multiplicité de points de vue offerts par ce prisme architectural excitent le regard dans toutes les directions sans le guider. Faute de début et de fin et en l’absence de narration, faute aussi de lignes de force, l’expérience de visite s’avère assez frustrante.
« Bien sûr, les plateformes mobiles introduisent un paramètre inédit qui représente un défi, mais qui ne se pose pas qu’à nous ; c’est une caractéristique du bâtiment qui déterminera toutes les expositions futures, avec laquelle composeront tous les designers, artistes et commissaires », remarque au fil de l’interview publiée dans le catalogue, le duo italien Formafantasma, qui signe la scénographie.
La difficulté est redoublée par le fait qu’au-delà de ses « morceaux choisis » de la collection, cette exposition inaugurale est d’abord celle du bâtiment lui-même. La maquette du projet occupe d’ailleurs pour une durée indéterminée la mezzanine du premier étage. La prochaine exposition, consacrée à Ibrahim Mahama et intitulée le « Temps des Récoltes » composera-t-elle mieux avec lieu ? On le lui souhaite. « Il faudra au moins dix années d’expositions avant d’avoir un corpus d’études de cas substantiel montrant comment les différents intervenants auront tiré parti des multiples possibilités induites par ces plateformes », estiment les designers de Formafantasma.
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La Fondation Cartier en met plein la vue
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°663 du 17 octobre 2025, avec le titre suivant : La Fondation Cartier en met plein la vue








