Architecture - Fondation

La Fondation Cartier archi contemporaine

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 27 octobre 2025 - 1428 mots

La nouvelle Fondation Cartier, installée désormais place du Palais-Royal, offre au public de découvrir une partie de sa collection et de vivre l’expérience d’une architecture modulable signée Jean Nouvel.

En quittant le boulevard Raspail, dans le 14e arrondissement, pour investir l’ancien Louvre des Antiquaires, la Fondation Cartier se retrouve placée au cœur de la capitale. La voici au centre de l’attention et de l’écosystème international de l’art. Sa nouvelle adresse prestigieuse l’inscrit dans l’architecture symbolique de la cité, au plus près de son périmètre historique. La place du Palais-Royal (1er arr.) est en effet l’une des plus anciennes de Paris. C’est également à partir de ce quartier que rayonna au XIXe siècle le projet haussmannien, avec les deux grands axes que sont la rue de Rivoli et l’avenue de l’Opéra, artères exemplaires d’un nouvel ordre moderne. Le gigantesque bâtiment (en tout, 17 000 m2), entièrement repensé par Jean Nouvel pour la Fondation Cartier, a connu plusieurs états. Son origine remonte à 1854. C’est alors qu’est lancée, sur la place du Palais-Royal, la construction du Grand Hôtel du Louvre, conçu par l’architecte Alfred Armand. Au rez-de-chaussée et dans son entresol, l’établissement comporte des boutiques et des échoppes qui vont, au fil des décennies, en occuper peu à peu toute la surface. En 1887, l’édifice, entièrement dévolu à l’activité commerciale, prend le nom de Grands Magasins du Louvre ; douze ans plus tard, un passage souterrain le relie à la station de métro toute proche. Mais le lieu périclite au tournant des années 1960-1970. Il est remplacé par le Louvre des Antiquaires, inauguré en 1978 après quelques travaux d’aménagement, et qui fermera à son tour en 2019.

De clarté et d’acier

Lorsqu’il visite cet ensemble sombre et bas de plafond, Jean Nouvel imagine d’abord d’en restaurer l’intention, en le rouvrant sur la ville. L’architecture qu’il livre, percée de larges baies vitrées le long des façades, dialogue avec les rues qui la bordent et l’institution voisine du Louvre. L’effet de transparence obtenu floute au rez-de-chaussée la délimitation entre l’intérieur et l’extérieur. Ce trouble est redoublé par la présence, rue de Rivoli, des galeries sous arcades, tandis que du côté de la façade d’honneur, deux hautes portes donnent de plain-pied sur la place du Palais-Royal, comme si celle-ci constituait le narthex de la Fondation. En ouvrant la construction de tous côtés, Jean Nouvel met aussi, littéralement, le musée en vitrine. « L’expérience de l’art commence dès les abords de la Fondation », explique Béatrice Grenier, directrice des projets stratégiques et internationaux, et commissaire de l’exposition inaugurale.

Le deuxième geste spectaculaire consiste à avoir inséré dans cette élégante structure classique en pierre de taille une mécanique empruntée à l’ingénierie industrielle des porte-avions. L’intérieur de cette coquille gigantesque a en effet été évidé de ses cloisons afin d’y introduire cinq plateformes, de 250 m2 chacune en moyenne et pesant autant de tonnes d’acier. Des systèmes de câbles et de poulies apparents, fixés à des vérins et enroulés sur des tambours animés par des moteurs électriques, permettent d’élever ces planchers parfaitement à l’horizontale. Onze hauteurs différentes sont possibles pour chaque plateforme, selon un mécanisme dynamique qui paradoxalement, apporte au lieu, malgré la lourdeur du dispositif, une grande souplesse. Du sous-sol au plafond, tout peut bouger, rien n’est fixe. Cette architecture adaptable entend se mettre au service d’une programmation qui embrasse les arts visuels, la photographie, le cinéma, les métiers d’art, la performance, le spectacle vivant et enfin la science.

Le gigantisme au service de l’art

Le résultat est stupéfiant, par les volumes déployés et par une modularité combinatoire qui défie l’imagination. Selon le positionnement des plateformes, ce n’est pas seulement la configuration de l’espace qui change, mais aussi la perception que l’on a de sa tridimensionnalité (suite p. 57) et de ses surfaces. D’autant que les lumières varient aussi selon qu’elles se réverbèrent sur le granit clair des planchers ou qu’elles sont amorties par le revers anthracite des plateformes, dont l’esthétique évoque davantage une salle des machines qu’un musée. Les trois verrières zénithales préservées laissent entrevoir des pans de ciel parisien, quand elles ne sont pas obturées. Si le tout donne une impression de gigantisme, la finesse du dessin vient cependant s’immiscer ici et là, dans les détails, comme les garde-corps amovibles qui entourent chacune des plateformes. Le public dispose pour pénétrer dans ce bâtiment de quatre entrées. Place du Palais-Royal, le hall d’accueil, au niveau du rez-de-chaussée où, à la différence de nombreux musées, le contact visuel est immédiat avec les œuvres exposées. La librairie, et son mobilier en inox réfléchissant, offre un deuxième accès, par la rue de Rivoli. Rue Saint-Honoré, le restaurant dont l’ouverture est retardée à début 2026, communique également avec le reste des espaces. Enfin l’auditorium, baptisé studio Marie-Claude Beaud, peut se rejoindre depuis l’extérieur rue de Marengo, ou par l’intérieur de la Fondation. Quel que soit le point d’accès choisi, une fois dans les murs, la déambulation est libre. Cité dans la cité, la Fondation Cartier pour l’art contemporain cherche moins à désorienter ses visiteurs qu’à les laisser trouver leur chemin vers l’art.

Une architecture en pleins et en creux

Au niveau - 1, une fosse d’une superficie d’environ 17 m2 a été aménagée. Cet espace en creux accueille de grandes installations ou des sculptures monumentales et est uniquement visible en surplomb.


Au cœur du Paris moderne

Cette vue historique nous plonge au cœur du Paris moderne voulu par Napoléon Bonaparte au début du XIXe siècle. Avec ses arcades emblématiques, dessinées par les architectes Charles Percier et Pierre Fontaine, la rue de Rivoli commence alors à voir le jour, un premier tronçon reliant la place de la Concorde à la rue des Pyramides. Dans la seconde moitié du siècle, sous l’impulsion du baron Haussmann, l’artère est prolongée, tandis que dès 1854 débute, sur la place du Palais-Royal, la construction du Grand Hôtel du Louvre signé par l’architecte Alfred Armand.


En dialogue avec le Louvre

Les façades ont été évidées et de vastes volumes de verre sans menuiseries apparentes ont été installés entre les poteaux existants, rhabillés de pierre massive de Saint-Maximin – celle-là même qui servit à construire l’îlot 165 ans auparavant. Ces baies vitrées de 7 m de haut ouvrent sur les rues alentour créant un dialogue avec le Musée du Louvre, côté rue de Rivoli. Des systèmes de stores permettent de moduler la lumière du jour, jusqu’à l’obscurité complète si nécessaire.


Des travaux pharaoniques

Cette vue de chantier permet d’embrasser l’ampleur des travaux entrepris dans le bâtiment durant quatre ans – ici, avant la pose des plateformes. Depuis le 25 octobre, ce sont 8 500 mètres carrés qui sont accessibles au public, dont 6 500 mètres carrés de surface d’exposition. Depuis les coursives latérales, les visiteurs sont face à un volume gigantesque de dizaines de milliers de mètres cubes.


Un bâtiment modulable

Avec, au premier plan, la plateforme 4 en construction, cette photo donne un aperçu de la profondeur du bâtiment. Cinq plateformes mobiles en acier recyclé (dont la superficie va de 200 m2 pour la plus petite à 363 m2 pour la plus grande) y sont disposées en enfilade et peuvent être placées sur onze positions différentes, du niveau - 1 au plafond, selon un alignement total ou partiel. Ces multiples configurations, qui permettent de nombreuses combinaisons de volumes, de verticalités et de variations de lumière, créent un espace très adaptable, constamment redéfini en fonction des besoins des expositions.


L’amphi rouge

Le studio Marie-Claude Beaud a été baptisé ainsi en mémoire de la première directrice de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, disparue en 2024, qui initia la collection dès les années 1980. Baigné de reflets rouges, cet auditorium intimiste comprend une centaine de places assises. Il est accessible depuis la rue Marengo, comme depuis l’intérieur du bâtiment. Films, concerts, conférences, performances, sa programmation est ouverte à différents formats.


Vue sur le ciel

Des arbres ont été plantés en bordure des trois grandes verrières. On n’accède pas à ces jardins suspendus, mais les rayons du soleil sont filtrés par leurs feuillages, au gré des saisons, et contribuent à faire entrer le monde extérieur dans l’espace muséal. Sous ces planchers de verre, des rideaux mécaniques peuvent également être fermés pour cadrer le ciel ou occulter, en partie ou totalement, la lumière naturelle.


Promenade extérieure

La façade côté rue Saint-Honoré est surmontée d’un auvent de verre qui s’étire sur plus de 150 m. Dans le prolongement des arcades de la rue de Rivoli et de celles de la place du Palais-Royal, cette marquise minimaliste permet de faire quasiment le tour du bâtiment à l’abri du soleil ou de la pluie.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°790 du 1 novembre 2025, avec le titre suivant : La Fondation Cartier archi contemporaine

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque