Disparition

Disparition de la sociologue Raymonde Moulin

Par Alain Quemin · lejournaldesarts.fr

Le 12 août 2019 - 495 mots

FRANCE

Raymonde Moulin qui vient de disparaître à l’âge de 95 ans, a largement refondé la sociologie de l’art dans les années 1960. 

Raymonde Moulin en 2005 à la biennale de Venise © Alain Quemin
Raymonde Moulin en 2005 à la biennale de Venise
© Alain Quemin

L’auteur de L’artiste, l’institution et le marché est décédée vendredi 9 août. Raymonde Moulin était née le 19 février 1924, à Moulins, dans une famille de petits notables. Son père, receveur des postes, était également conseiller municipal. Elle racontait elle-même que, fille unique, elle fut très gâtée et ne se remit jamais vraiment d’avoir perdu, lorsqu’elle avait 19 ans, son père chéri, emporté par un cancer foudroyant. 

C’est à Lyon, en zone libre, qu’elle effectua sa classe préparatoire littéraire, puis le reste de ses études, jusqu’à l’agrégation d’histoire. D’abord nommée à Moulins, elle gagna ensuite Paris et le lycée Molière qui lui offrit l’opportunité d’un séjour aux États-Unis. C’est là qu’elle rencontra Pierre Carlo qui allait devenir, des années après, son compagnon puis, sur le tard, son époux.

Lasse de devoir enseigner chaque année la même chose, Raymonde Moulin entendit parler du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) lors d’une rencontre incidente. Elle alla donc demander conseil à son directeur de maîtrise –elle avait consacré son mémoire à la place de la femme dans la cité grecque– en lui expliquant qu’elle désirait désormais « vivre dans le siècle ». Elle fut ainsi orientée vers Raymond Aron qui encadra sa thèse d’Etat et dont elle allait devenir une très proche collaboratrice. L’esprit d’Aron inspira à la fois l’absence de tout dogmatisme de Raymonde Moulin, mais aussi un certain détachement devant la bassesse humaine. 

Forte d’une thèse remarquée sur Le marché de la peinture en France (Minuit, 1967), Raymonde Moulin a effectué toute sa carrière au CNRS, ainsi qu’à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, après un passage de deux ans à l’Université de Vincennes, alors tout juste créée. Dans toutes ces structures, elle a joué un rôle institutionnel essentiel.

C’est toutefois en sociologie de l’art que sa contribution a été la plus décisive. Parallèlement à Pierre Bourdieu et ses collaborateurs, elle a complètement refondé la sociologie de l’art dans les années 1960, en la détachant notamment des apories de la filiation marxiste. Elle a ancré la discipline dans une perspective résolument empirique et a joué un rôle moteur dans son institutionnalisation en fondant, en 1983, un laboratoire spécialisé, le Centre de Sociologie des Arts, mais aussi en organisant et présidant un grand colloque devenu une référence, à Marseille, en 1985 (les contributions ont ensuite été réunies dans Sociologie de l’art, réédité chez L’Harmattan en 1999). 

De secteur de niche mal identifié, la sociologie de l’art (et de la culture) est devenue un domaine majeur en sociologie. En 1992, Raymonde Moulin a publié son chef-d’œuvre, L’artiste, l’institution et le marché (Flammarion) livrant une analyse brillante du système mis en place en France durant les années 1980. Le découvrir ou le relire permet, mieux que tout autre texte, de rentrer dans la pensée limpide et pénétrante de Raymonde Moulin, qui a essaimé en France et internationalement.

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