Art contemporain

Rencontre

Claire Tabouret, l’infatigable succès

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2017 - 1333 mots

La jeune peintre a trouvé à Los Angeles où elle s’est installée des espaces propices à la rêverie, une façon de prendre de la distance pour affronter une année 2017 qui s’annonce frénétique.

LOS ANGELES - Il y a un peu plus de deux ans, en janvier 2015, Claire Tabouret a pris un aller simple pour Los Angeles, en Californie. Sans « fantasme particulier » sur la destination : « J’ai juste pensé que L.A., c’était très loin, très différent, qu’il y avait une vie artistique intéressante… J’avais envie de quitter Paris, de me remettre en situation d’inconfort. »

Une façon de prendre de la distance, à l’exemple de l’artiste Agnes Martin, qu’elle cite volontiers, et dont le portrait, de dos, ouvrait en décembre dernier son exposition « Battlegrounds » chez Bugada & Cargnel –  sa galerie parisienne. Car peindre, rappelle Claire Tabouret, c’est faire le choix de la solitude. Pour cela, il a fallu fuir les projecteurs, braqués sur elle après que l’homme d’affaires et collectionneur François Pinault eut acheté plusieurs de ses œuvres, et que son nom eut figuré, en 2014, à l’affiche de « L’illusion des lumières », au Palazzo Grassi à Venise. Caroline Bourgeois, commissaire de l’exposition, se souvient de sa découverte : « La galerie [à l’époque Isabelle Gounod, Paris] avait organisé la rencontre avec l’artiste, j’ai été conquise par son travail. François Pinault est allé le lendemain pour voir l’exposition et à son tour la rencontrer. La proposition de l’inclure dans l’exposition à Venise est venue un peu plus tard, durant l’élaboration du projet. Nous nous sommes vues régulièrement lors de la production de l’œuvre (« Les Veilleurs», NDLR) qui était importante pour elle comme pour nous. » À 33 ans, Claire Tabouret, avec ses énigmatiques portraits de groupe nimbés de lumière verte, ses bébés « Mangeurs » inquiétants, était propulsée sur le devant de la scène hexagonale de l’art contemporain.

Une conquérante
Trois ans plus tard, la voici donc à Los Angeles. Retirée ? Elle loue une petite maison, et à vingt minutes en voiture, dans le quartier de Atwater Village, un atelier de 400 m2. Elle nous y reçoit en vêtements de travail, jean et gros pull anthracite maculés de taches multicolores de peinture, sa tenue fétiche, dans laquelle elle apparaît sur certaines photos de son compte Instagram. Elle avoue en souriant être « tombée amoureuse de la ville », laquelle le lui rend bien : l’ensemble des peintures de son exposition « Éclipse », qui s’achevait le 4 mars à la Night Gallery, à Los Angeles, ont trouvé preneurs auprès d’importants collectionneurs américains, ainsi que la moitié des petites estampes, les prix de ses œuvres s’échelonnant de 5 000 à 65 000 dollars (4 600 à 60 000 euros).

Variation sur le thème de la disparition programmée, ce solo show faisait référence à des personnages récurrents dans son travail : Agnes Martin et l’écrivaine aventurière Isabelle Eberhardt, rejoints par la figure du poète suisse Robert Walser, tous trois emblématiques d’une volonté de se perdre. Pour mieux se trouver ? En guise de réponse, Claire Tabouret préfère suggérer une piste formelle : le phénomène d’obscuration de l’éclipse, souligne-t-elle, s’accompagne d’une luminosité émanant de l’astre occulté. Comme dans ses tableaux, où la lumière sourd par en dessous : « J’ai toujours peint en commençant par une couche de couleur quasiment fluorescente. Quand on accroche le tableau sur un mur blanc, ça crée un halo. Je peins à l’acrylique, par couches très fines… C’est peut-être aussi ce qui fait que les gens reconnaissent mes toiles ; la lumière qui les baigne est une lumière spéciale, faite de recouvrements. »

La violence contenue, butée, que l’on pouvait ressentir dans ses portraits d’enfants, semble, elle, atténuée. Claire Tabouret assure pourtant avoir l’intention de « faire rentrer du bruit, de la rue, de l’insoumission, de la révolte… » à la Villa Médicis, à Rome, où elle exposera en mai. Pour l’heure, elle se concentre sur la confection d’une œuvre qui sera mise aux enchères dans le cadre de la prestigieuse vente caritative de l’Amfar, à Hongkong. En avril, elle ira s’installer pour trois semaines dans la propriété de Fabrègues (Hérault) du décorateur star Pierre Yovanovitch, qui lui a passé commande d’une fresque in situ pour la chapelle de son parc : « Elle veut un fond rose, je le fais peindre pour gagner du temps. »

Fin juin, au centre d’art Le Creux de l’Enfer, à Thiers (Puy-de-Dôme), ouvrira « Neptune », une rétrospective thématique, avant une exposition prévue à Marseille, à la Friche la Belle-de-Mai. En novembre enfin, Claire Tabouret aura les honneurs du Yuz Museum de Shanghaï. Budi Tek, le fondateur de ce musée privé, lui a rendu visite l’été dernier : « Il a acheté un très grand diptyque, m’a proposé de réaliser quatre panneaux de 5 x 3 m pour l’atrium du musée, et de faire une exposition dans les deux “project spaces” ». 2017, année sans répit. C’est alors à sa géante cuirassée, femme guerrière de l’exposition « Battlegrounds », que fait songer Claire Tabouret. Une conquérante, bien plus qu’une artiste en retrait.

Ténacité
Elle constate peindre avec le temps dont elle dispose : « six mois, trois mois ou trois semaines ». Et avec un perpétuel sentiment d’urgence. « Elle a une incroyable ténacité en tant qu’artiste », observe Davida Nemeroff, de la Night Gallery.

Sa peinture plaît, autant que sa personnalité, ce qui lui vaut la fidélité de quelques grands collectionneurs français. « C’est une énorme bosseuse, apprécie Laurent Dumas, et une personnalité attachante. » Le P.-D.G. du groupe Emerige a longtemps reçu ses interlocuteurs, à son bureau, sous le regard frontal des élèves de La Classe ; il a placé L’Affront dans l’entrée de son appartement parisien. « Elle a adoré l’idée de ce projet de fresque in situ », confie quant à lui Pierre Yovanovitch – qui avait, un temps, pensé faire appel à Camille Henrot, moins inspirée. « Le jour où j’en ai parlé à Claire, on s’est tapé dans la main, elle était enthousiasmée. » Agnes b, parmi les premières à avoir montré sa peinture, en 2013, dans sa galerie de la rue du Jour, n’hésite pas à comparer le talent de Claire Tabouret à celui de l’artiste peintre du XVIIIe siècle Élisabeth Vigée le Brun. « J’aime son regard sur l’enfance, l’inquiétude dont il témoigne. Et j’ai beaucoup d’amitié pour elle. » Tous gardent un œil sur son travail – « nous la suivons et la rencontrons de façon régulière », assure Caroline Bourgeois.

Est-ce le succès ? Il rentre moins de colère dans le choix de ses sujets. Ou bien faut-il y voir un effet ciel bleu et palmiers ? « Ici, le regard est moins saturé, on est moins sollicité visuellement, ou alors c’est par des fleurs, des arbres… », remarque-t-elle. Sa palette de « coloriste », s’est, elle aussi, éclairée. Los Angeles lui réussit. Sans compter que la cité des Anges est aux portes du désert. Il suffit à Claire Tabouret de mettre sa valise dans le coffre de sa Jeep pour s’y retirer l’espace de quelques jours. C’est assez pour le moment.

Parcours

1981 - Naissance à Pertuis (Vaucluse). Se souvient que ses parents l’emmènent voir les « Nymphéas » de Monet à l’âge de 4 ans.

2006 - Diplômée de l’Ensba (École nationale supérieure des beaux-arts de Paris). Atelier de Dominique Gauthier.

2009 - 2013Peint la série des « Maisons inondées », qui l’a fait connaître, puis la série des « Migrants ». Lauréate du prix Yishu 8, Pékin.

2014 - Première exposition à la galerie Bugada & Cargnel, à Paris. Participe à « L‘illusion des lumières », au Palazzo Grassi à Venise.

2015 - Quittte son atelier parisien pour Los Angeles.Peint la série « Le Carnaval », ensemble de personnages masqués.

2017 - Expositions personnelles à la Night Gallery, L.A. ; à la Villa Médicis (mai) ; au Creux de l’Enfer, à Thiers, en juin ; au Yuz Museum de Shanghaï (nov.).

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°476 du 31 mars 2017, avec le titre suivant : Claire Tabouret, l’infatigable succès

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