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ENTRETIEN

Claire Tabouret : « À Morandi, j’ai mélangé la fourrure synthétique »

Artiste peintre

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 4 novembre 2021 - 845 mots

PARIS

L’artiste expose actuellement à Paris, dans deux galeries proches : Almine Rech et Emmanuel Perrotin.

Claire Tabouret. © Photo Claire Dorn / Courtesy Almine Rech and Perrotin
Claire Tabouret.
© Photo Claire Dorn
Courtesy Galeries Perrotin et Almine Rech

Cela fait déjà trois ans que Claire Tabouret (née en 1981) n’a pas exposé à Paris. Elle revient (de Los Angeles où elle s’est installée depuis 2015), après les confinements, avec trois séries de nouvelles œuvres, des portraits, mais surtout des paysages et quelques fleurs. Un retour en force puisqu’elle les expose dans trois lieux.

Pourquoi êtes-vous revenue au paysage que vous avez travaillé à vos débuts avant de peindre les portraits pour lesquels vous êtes aujourd’hui reconnue ?

C’est lié à la pandémie, à l’année écoulée au cours de laquelle j’ai vécu la continuité de la peinture : je suis restée dans mon atelier et j’ai peint. J’ai arrêté de voyager, j’ai eu peu de visites, pas de foires, pas ces interruptions qui découpent le travail. Dans ce temps plus long, j’ai pu vagabonder et m’autoriser des expérimentations. Après avoir longtemps travaillé le portrait, surtout de manière très frontale, j’ai eu envie de reprendre un thème que j’avais abordé avant 2013 et voir comment j’allais pouvoir faire exister la présence d’un paysage. Et pour cela, il ne fallait pas que je sois dans une sorte d’échéance immédiate.

Vous avez intitulé cette série « Paysages d’intérieurs ». Pourquoi ?

Parce que ce ne sont pas des paysages venus de l’extérieur. Ils sont nés de tout ce temps passé à l’intérieur, ce temps de solitude, au cours duquel je me suis replongée dans des livres et des catalogues comme lorsque j’étais adolescente. De fil en aiguille, j’ai repensé à Giorgio Morandi, un de mes premiers amours en peinture, qui lui aussi avait passé beaucoup de temps à regarder des œuvres à travers des reproductions et notamment celles de Cézanne qui le fascinaient. J’ai compris que ce qui me plaisait tant dans les paysages de Morandi, c’était notamment le fait qu’il les avait peints avec une dimension intérieure très forte. Et, en même temps, lorsqu’on est face à eux, on sent la brise, la chaleur, l’odeur du foin. Je me suis donc lancée et puis, à Morandi, j’ai mélangé la fourrure synthétique.

Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler avec ce nouveau support ?

À l’atelier, j’ai toujours une collection de tissus et j’aime faire des expérimentations, peindre sur de nouveaux supports, voir comment ils réagissent. La fourrure synthétique m’a donné l’impression de danser dans la neige, de faire un mouvement dans un environnement qui n’est pas le plus simple et de voir comment cela transforme mon geste. La fourrure a en outre une couleur prédominante qui remonte à travers mes couches de peinture. Elle joue le rôle d’un filtre, comme s’il s’agissait d’une fenêtre justement. Et puis la fourrure, c’est comme une peau.

Est-ce que ces changements marqués ne sont pas risqués pour votre marché ?

Non, je ne crois pas. Et puis, je ne pense pas à cela. À l’atelier, je suis dans une certaine routine qui me rend heureuse car c’est là où je peux vivre énormément d’aventures. C’est dans ces moments d’éveil que je vis du risque, de la peur, de l’adrénaline, de l’inconnu auxquels je fais totalement confiance. J’ai besoin de l’inconfort, j’aime me sentir libre, jamais sur une voie tracée. Dès que je sens que j’ai compris quelque chose, je sais qu’il est temps de changer de registre. Un livre a récemment été publié sur mon travail et lorsqu’on le feuillette, on s’aperçoit que les portraits de groupe ne sont l’objet que d’un chapitre et qu’il y en a beaucoup d’autres. Je n’ai jamais arrêté d’explorer et c’est aussi pour cela que mon marché est plutôt solide. Les collectionneurs ne peuvent pas se dire : « J’ai un Claire Tabouret, c’est bon, je ne vais pas en avoir un deuxième. » Au contraire, chaque fois que j’arrive avec une nouvelle série, ils ont envie d’acquérir une œuvre. Tant que je reste juste, sincère, tant que je continue à chercher, je pense qu’on continuera à me suivre. Et si on ne me suit plus, cela ne m’empêchera pas de continuer quand même.

En plus d’une sculpture au Musée Picasso, vous exposez à Paris chez Emmanuel Perrotin et chez Almine Rech. Pourquoi deux galeries, en même temps, parmi les plus importantes, et à cent mètres de distance ?

Avec le Covid-19, beaucoup de gens se sont posé la question de ce qui n’allait pas dans leur vie, comme une sorte de mise au point nécessaire. Pour moi, le problème était dû à mon rythme, effréné, avec beaucoup d’expositions. Quand j’ai vu que tout allait reprendre, j’ai voulu faire des événements très forts, pas dispersés, et donc de les réunir pour marquer le coup. Quand je me suis sentie prête, je me suis lancée. La galerie Perrotin me représente officiellement en Asie et la galerie Almine Rech à Paris, mais elle a aussi une galerie à Shanghaï. Plutôt que de faire une expo à Paris avec Almine, puis une autre avec Emmanuel à Shanghaï à trois mois d’intervalle, j’ai pensé qu’il valait mieux qu’on fasse tout ensemble à Paris et, dans quelque temps, tout au même moment en Chine.

Claire Tabouret, paysages d’intérieurs,
jusqu’au 18 décembre, Galerie Perrotin, 10, impasse Saint-Claude ; L’urgence et la patience, Galerie Almine Rech, 64, rue de Turenne, 75003 Paris ; et dans la cour du Musée Picasso, 5, rue de Thorigny, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°576 du 29 octobre 2021, avec le titre suivant : Claire Tabouret, artiste peintre : « À Morandi, j’ai mélangé la fourrure synthétique »

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